L’inconnu Dylan

par Thierry Gandillot |  publié le 29/01/2025

En salle ce mercredi 29 janvier, « Un parfait inconnu » de James Mangold s’illustre comme un biopic délicat et tourmenté de l’insaisissable Bob Dylan.

Timothée Chalamet et Elle Fanning dans "Un parfait inconnu", de James Mangold.

En ce mois de janvier 1961, venu du Minnesota en stop, débarque à Greenwich Village un parfait inconnu. Il ne va pas le rester longtemps. Au moins pour ce qui est de sa popularité, immédiate, incandescente, immense. Pour le reste, c’est à dire sa personnalité, son être profond, il reste – soixante ans, dix Grammy Awards et un Nobel plus tard -, un parfait inconnu. On peut avancer sans risque que le titre du film est bien choisi.

Timothée Chalamet, qui incarne magistralement Dylan, explique : « Il y a deux manières de s’atteler à un film autour de Bob Dylan. Soit on s’attarde sur le comportement d’un type qui n’aimait guère le contact avec les autres et qui était auréolé de mystère. Soit on évoque ses plus grands tubes et on risque de trahir sa vie et son œuvre en passant sous silence le fait que sa carrière n’ait pas été une ligne droite. James Mangold a su trouver le juste équilibre entre la réalité sans concession du personnage et sa démystification, tout en évitant le piège de l’hagiographie. »

De fait, « Un parfait inconnu » est tout sauf une hagiographie, et Bob Dylan est traité sans ménagement. Il est même souvent montré insupportable, suffisant, égocentrique. Mais il y a aussi, dans son comportement d’ado rebelle mal dans sa peau, dépassé par les événements, dans sa timidité agressive même, quelque chose de touchant. Et le film tire son charme et son intérêt de cette ambivalence.

Le choix de Mangold de ne traiter que les quatre premières années compliquées, souvent mal comprises, de l’ascension de Bob Dylan vers la gloire, se révèle judicieux. Il y a en effet un malentendu, dont on n’a pas fini de disputer, sur l’irruption subite de Dylan au sommet de la scène folk. Jusqu’à ce qu’il décide de tout casser lors du fameux festival de Newport 1965 où il passe à l’électrique.

Quand Robert Zimmerman, débarque à New York avec dix dollars en poche, les cheveux en bataille sous un casquette bolchévique, sa guitare dans le dos, il n’a pour tout viatique qu’un bout d’article de journal qui annonce l’hospitalisation de Woody Guthrie, atteint de la maladie de Huntington. Il se rend alors à son chevet et, en présence de Pete Seeger, le patron de la scène folk de l’époque, joue un morceau de sa composition.

Les deux hommes sont sous le choc de cette découverte et Pete Seeger le prend sous son aile. Plus tard, Bob rencontrera Joan Baez qui, elle, est déjà célèbre. C’est le coup de foudre, même si Bob est déjà en couple avec Sylvie Russo, une artiste et militante activiste. En fait, Sylvie s’appelle, dans la vraie vie, Suze Rotolo. C’est elle qui figure sur la couverture culte de l’album « The Freewheelin’ Bob Dylan », celui sur lequel on retrouve les chansons les plus engagées de Dylan : « Masters of War » ou « A hard rain’s gonna fall » ; c’est à la demande de Dylan que le nom de Suze, décédée en 2011, a été changé.

Le film évoque avec beaucoup de délicatesse l’instabilité cruelle de ce triangle amoureux. Comme il montre avec justesse l’insupportable douleur dans lequel les affres de la création, le poids de la notoriété, ont jeté ce jeune homme qui sait l’ampleur de son génie et réalise la violence du prix qu’il faudra payer. « J’ai toujours pensé, dit James Mangold, que le principal fardeau de Dylan, a été son talent propre, la douleur qui accompagne ce talent immense et la solitude qui en découle. »

Par la sobriété et la justesse de son jeu, Timothée Chalamet excelle à faire transparaître ces sentiments. À ses côtés, Elle Fanning (Suze), Monica Barbaro, (Joan) et Edward Norton (Pete) maintiennent le tempo.

« Un parfait inconnu », de James Mangold, avec Timothée Chalamet, Monica Barbaro, Edward Norton, Elle Fanning, 2h20

Thierry Gandillot

Chroniqueur cinéma culture