L’indigence économique

par Bernard Attali |  publié le 12/07/2024

Que nos dirigeants, ou ceux qui prétendent l’être, ignorent à ce point les contraintes de l’économie mondiale laisse perplexe.

En cette période d’intense agitation politique, l’indigence du débat économique entre candidats au pouvoir reste confondante. Que l’ex-majorité se barricade derrière son bilan, c’est de bonne guerre. Ce bilan n’est d’ailleurs pas déshonorant : une politique de l’offre soutenant une croissance économique comparable à la moyenne européenne, une inflation maîtrisée, un marché de l’emploi soutenu… Mais cela ne nous dit pas comment le pays va faire face au mur des investissements à venir (défense, environnement, éducation, santé, etc.), alors que son endettement est déjà colossal, ainsi que son déficit extérieur. Or le prochain budget devrait être arrêté dans les semaines à venir.

Que l’extrême droite se borne à promettre la lune tout en disant qu’elle ne tiendra pas ses promesses est une insulte à l’intelligence des Français. Et que la gauche soit à la ramasse et ne sache pas chiffrer son programme à 100 milliards près interroge sur son irresponsabilité : l’annulation de la réforme des retraites, la hausse brutale du Smic et ses autres mesures démagogiques vont nous conduire à court terme aux portes du FMI. Quant aux centristes, ils sont là ou ils sont d’habitude : nulle part. Un jour, il faudra se demander pourquoi notre système politique n’a pas permis aux différents partis de se préparer de manière plus sérieuse. À quoi servent-ils s’ils n’en sont pas capables ?

« Il est dangereux de s’installer dans le déni, mais il est faux d’ignorer nos marges de manœuvre »

On peut comprendre que la majorité des Français ne soient pas familiers des statistiques de l’Insee ou de la Banque de France… On peut aussi comprendre qu’un pays qui comporte plus de 10 millions de personnes en dessous du seuil de pauvreté soit d’abord saisi par l’angoisse du déclassement. Mais que nos dirigeants, ou ceux qui prétendent l’être, ignorent à ce point les contraintes de l’économie mondiale et arrivent au-devant de la scène dans un tel état d’impéritie laisse perplexe. À croire que Bergson pensait à eux lorsqu’il parlait « d’hallucinations volontaires »…

Il est dangereux de s’installer dans le déni, mais il est faux d’ignorer nos marges de manœuvre. Un seul exemple en passant : tant que nous n’aurons pas le courage de remettre de l’ordre dans un système fiscal vétuste et de moins en moins progressif, il sera impossible de concilier investissements et pouvoir d’achat, compétitivité des entreprises et justice sociale. Il est aussi irresponsable de dire avec l’ancienne majorité qu’il est tabou de toucher à notre fiscalité que d’affirmer avec l’ancienne opposition qu’on peut faire exploser le niveau des prélèvements.

Ajoutez à cela l’atrophie de tous les lieux qui, comme le Plan, permettaient autrefois de réfléchir à long terme et vous avez ce que les marchés détestent le plus : l’incertitude et le désordre. Quand on ne sait pas où on va, il n’y a aucune chance d’arriver où on aimerait être.

Bernard Attali

Editorialiste