L’obsession française de l’identité nationale 

par Boris Enet |  publié le 12/02/2025

Alors que la situation internationale se détériore dans le cadre d’une redoutable offensive impériale, que les guerres se perpétuent à nos portes, que les services publics s’effondrent à bas bruit, la France se replie sur l’identité nationale.

Drapeau français à l'entrée du palais de l'Élysée, le 28 Janvier 2025. (Photo de Xose Bouzas / Hans Lucas via AFP)

C’est une spécialité made in Frankreich. Avec le couscous, plat préféré des Français. L’identité nationale est devenue, si l’on en juge par les préoccupations des braves gens, les discussions au coin de la rue, les plateaux réunissant les éditorialistes de Valeurs actuelles, Robert Ménard ou Pascal Praud, le sujet incontournable de la vie politique française. D’autres pays décadents se lancent à l’assaut de l’IA, réfléchissent aux solutions pour capturer le carbone, envisagent l’aménagement urbain des métropoles de demain ou planchent sur une refonte de la gouvernance mondiale, mais aucun n’avait osé un débat intellectuellement aussi vivifiant, revigorant des millions de Dupont-Lajoie en quête du temps qui passe.

Imaginons un instant : le Général serait encore là, OSS servirait les services du contre-espionnage avec zèle, le pain d’antan serait tellement plus goûteux et les Verts échoueraient sur des poteaux carrés en coupe d’Europe. Michel Sardou entonnerait « Je suis Pour » sur des bandes magnétiques en R16 avec 13 000 morts sur la route, Jean Ferrat n’en serait pas encore au bilan tandis que Guy Lux ferait rire dans les chaumières le samedi soir avec Inter villes. Une fierté française comme on en fait plus, ma brave dame. Les mineurs auraient encore le loisir de périr avant 60 ans les poumons noircis, l’homosexualité serait toujours une maladie et personne n’oserait débattre du devoir conjugal ou de l’identité de genre. Les Français auraient cessé de se détester, amnistiant la part d’ombre d’une jeunesse égarée. Fernand Raynaud ferait vrombir l’audimat de l’ORTF.

Excessif ? Évidemment. Mais qu’il est usant de resservir à intervalles réguliers les mêmes plats avec les mêmes ingrédients pour panser le malaise d’une société nostalgiquement et mythologiquement maladive.

Oui, la France doit maîtriser ses flux migratoires dans un cadre européen. Tous les États le pratiquent et c’est une prérogative partagée. Bien sûr, la qualité de l’intégration est notoirement insuffisante même lorsque le processus productif joue son rôle de brasseur social et d’intégrateur sur trois générations. 

Naturellement, les offensives de l’islamisme ont exaspéré des pans entiers de la population qui étaient à mille lieux des abjections de l’extrême-droite et ont très mal vécu l’alliance objective de Mélenchon avec les Frères musulmans pour de sinistres calculs électoraux. Effectivement, les fractures territoriales, sociales et économiques, concentrent les populations immigrées dans les mêmes territoires, engendrant parfois des replis communautaires et une remise en cause de la laïcité. Bien sûr. Les électeurs de gauche le savent, le mesurent, le vivent, quand les appareils des partis de gauche ont idiotement choisi de détourner le regard. Mais en quoi ces situations pratiques qui appellent des solutions collectives déboucheraient-elles sur une remise en cause du projet républicain, enfanté par la révolution française ?

L’identité française repose sur un projet politique synthétisé par la République qui ne s’acquiert ni par le sang ni par l’hérédité. La place de chacun y est garantie par la reconnaissance d’une démocratie politique et sociale, fondée sur la reconnaissance des Droits de l’Homme. Dévier de cette conception est un choix toujours possible, mais il implique un renoncement, non seulement au projet républicain tel qu’il s’est construit pas à pas dans les soubresauts de la grande révolution, mais également au projet européen, aujourd’hui beaucoup plus abouti en termes de droits, de normes et de valeurs que le projet national. 

La gauche peut donc se présenter devant les citoyens avec authenticité et véracité, tout en étant fidèle à son histoire et sans déroger à ses valeurs. Ce débat permettra-t-il de faire progresser collectivement la société française, cernée par les fantasmes, les intox et les prismes populistes ? On peut légitimement en douter.

Boris Enet