Loi Duplomb : les absurdités françaises

par Gilles Bridier |  publié le 21/07/2025

Le débat autour de la réhabilitation d’un pesticide nocif est une caricature des contradictions françaises en économie.

Rassemblement contre la loi Duplomb sur l'esplanade des Invalides. Cette mobilisation est soutenue par de nombreuses organisations telles que Générations Futures, Greenpeace, CIWF France, la Confédération Paysanne, ATTAC et le WWF. Ce rassemblement fait suite au vote de la motion de rejet du projet de loi à l'Assemblée nationale. (Photo Gauthier Bedrignans / Hans Lucas via AFP)

Duplomb contre la Constitution? Point ne devrait être nécessaire de rappeler que la Charte de l’environnement, intégrée au bloc de constitutionnalité depuis mars 2005, introduit le droit de « vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Et que, en cas de doute sur l’éventualité d’un risque, les autorités doivent – au nom du principe de précaution – prendre des mesures préventives même lorsque les risques sont incertains.

Le sénateur Laurent Duplomb, auteur du projet de loi visant à ré-autoriser en France l’usage d’un pesticide – l’acétamipride – utilisé ailleurs en Europe, semble s’être assis sur cette Charte. Pourtant, des études en France, au Japon et aux États Unis font état de la nocivité des néonicotinoïdes dont ce pesticide fait partie. Certes, l’Autorité européenne de sécurité des aliments a décidé l’an dernier que ce pesticide pourra être utilisé jusqu’en 2033. Pourquoi cette date butoir, qui semble ne diagnostiquer de risque qu’à cette échéance? Pour les plus d’un million de consommateurs français qui ont signé la pétition contre la loi Duplomb, le raisonnement ne tient pas.

Pour autant, les pro-Duplomb ne manquent pas d’arguments. La Charte elle-même met en garde contre une utilisation abusive du principe de précaution qui aboutirait à des restrictions excessives. On peut par ailleurs s’interroger sur la logique d’une interdiction qui ne porte que sur des produits français, et pas sur ceux importés de pays où ce pesticide est utilisé. De sorte qu’on les retrouve dans les rayons à des prix plus attractifs pour le consommateur que ceux produits en France. Peut-on parler dans ce contexte de concurrence loyale ? Certainement pas.

On connait la sensibilité au prix des consommateurs. Elle explique les difficultés rencontrées par les agriculteurs convertis au bio dont les ventes ont baissé de 11% entre 2020 et 2023 avant de se stabiliser en 2024. Le pouvoir d’achat prime. Si les agriculteurs doivent renoncer à l’acétamipride mais que les consommateurs continuent de se tourner vers des produits importés meilleur marché cultivés avec ce pesticide, la santé n’y gagne rien et l’agriculture y perd. Où est la logique? On est alors dans le même cas de figure irrationnel que pour l’accord de libre-échange avec le Mercosur, avec l’importation de viande de bovins nourris avec des produits interdits en France.

Ceci ne signifie pas qu’il faille faire l’impasse sur les problématiques sanitaires. Mais l’approche ne peut se résumer à celle de la loi Duplomb. Les abus du libre-échange, les politiques d’approvisionnement des centrales d’achat, et le comportement des consommateurs sont des paramètres à prendre aussi en considération pour éviter de tomber dans des débats caricaturaux, avec leurs contradictions.

Le problème soulevé par cette loi Duplomb n’est malheureusement pas unique en son genre. On pourrait le comparer à celui de la « fast fashion » produite à l’étranger dans des conditions et à des salaires qu’on ne saurait accepter en France, et qui connaît malgré tout le succès au point que les trois acteurs qui se partagent ce marché (Shein, Zara et H&M) mettent sous pression les acteurs de l’habillement. Jusqu’à la faillite pour certains (Camaïeu, Pimkie, Jennyfer…). Le consommateur rechigne à regarder derrière les étiquettes, toujours au nom du pouvoir d’achat.

On pourrait prendre aussi l’exemple du secteur automobile avec la désaffection des productions françaises au profit des véhicules importés (ou réimportés dans le cas de marques françaises) à cause de coûts de fabrication plus compétitifs ailleurs. Aujourd’hui, les groupes historiques français ne produisent plus dans l’hexagone qu’une voiture sur cinq. Et tant pis si à force de délocalisations, l’industrie automobile a perdu la moitié de ses salariés en vingt ans. Pire qu’un déclin, c’est un sinistre qui n’a déclenché aucune réaction.

Toujours au chapitre des inepties, les grandes fortunes se plaignent d’une fiscalité excessive, mais oublient de mentionner les multiples dispositions dérogatoires (comme la flat-tax sur les dividendes) dont elles bénéficient. Et, bien que libéraux, les chefs d’entreprise ne manquent jamais de se tourner vers l’État pour réclamer de multiples subventions, pour l’emploi d’apprentis comme pour la recherche. Le Sénat a chiffré à 211 milliards d’euros le montant des aides aux entreprises en un an. Vive l’État providence!

Les absurdités se situent à tous les niveaux. Même si le ruissellement cher à Emmanuel Macron a fait la preuve de son inefficacité, la politique de l’offre n’est pas remise en cause. Pourquoi ? Nombre d’économistes estiment, comme l’ancien secrétaire d’Etat au Budget Christian Eckert, que la cause principale du déficit budgétaire actuel « est issue des diminutions de recettes non compensées (…). Inutile d’être énarque pour comprendre… », poursuit-il. Sauf au plus haut du gouvernement dans une France qui se mord la queue.

En attendant, comme pour les agriculteurs, les commerces d’habillement, les salariés de l’automobile et combien d’autres secteurs confrontés à des pressions contradictoires, la croissance en France souffre de l’absence d’une ligne claire et bien charpentée, nécessaire pour fédérer le monde du travail. Et sortir de situations ubuesques, comme avec la loi Duplomb.

Gilles Bridier