L’ordre, l’ordre, l’ordre…
Même s’il paraît élémentaire pour un ministre de l’Intérieur, le martèlement de cet unique slogan augure mal de la politique du nouveau « premier flic de France ».
Bruno Retailleau a réussi son entrée médiatique : le mot employé par lui à trois reprises, « l’ordre, l’ordre, l’ordre », à la manière d’un Clemenceau ponctuant d’un « je fais la guerre » l’énumération des différents aspects de son action, a marqué les esprits par son insistante clarté.
Il eût été étonnant, il est vrai, que le nouveau ministre de l’Intérieur fasse l’éloge du désordre, lequel, comme il l’a dit, peut menacer liberté et égalité. Mais c’est la solitude revendiquée de ce mot lesté d’un lourd passé qui pose problème. Gérald Darmanin, son prédécesseur, l’avait d’ailleurs préventivement remarqué dans son allocution de passation de pouvoirs. « Juste l’ordre, a-t-il dit, n’a aucun sens » ; il faut parler « d’ordre juste ». Créatrice de cette formule plutôt heureuse, Ségolène Royal en a aussitôt revendiqué l’invention.
Qu’est-ce que l’ordre, en effet, sans la justice ? Sinon la défense d’un régime où les nantis usent de la police pour protéger leurs avantages ? Et qu’est-ce que l’ordre sans aucun attribut, sans aucun complément, sans aucun amendement, sinon sa simple volonté de répression, nue et sans nuance ? Tony Blair avait trouvé la juste formule : « Tough on crime, tough on the causes of crime ». En français : « dur avec le crime, dur avec les causes du crime ». De cet aphorisme, Retailleau a oublié la seconde partie.
On eût préféré, de loin, que le ministre impétrant parlât, non de l’ordre, mais du respect de la loi. Ce que, au passage, la gauche tend à passer sous silence alors que ce respect s’étiole dans toutes sortes de secteurs de la société, ce qui explique une bonne partie de ses déconvenues politiques dans une France où, globalement la délinquance – agressions contre les personnes et tentatives de meurtres – progresse de manière inquiétante.
Car le respect de la loi, plus que « l’ordre », vaut pour tous, puissants et misérables, délinquants en col blancs comme en capuche. Il vaut aussi pour la police elle-même, dont les dérapages et les fautes doivent être sanctionnés à leur juste mesure. Toutes choses dont le ministre de l’Intérieur s’abstient évidemment de parler : silence peu rassurant quand on sait qu’il est favorable à la « présomption de légitime défense » pour les forces de « l’ordre » (encore lui), qui placera les policiers fautifs en position systématiquement favorable en cas de dérapage de leur part.
Ce qui pose un problème politique plus large : en laissant Retailleau résumer ainsi son programme, le gouvernement Barnier, à l’instar de certains de ses lointains prédécesseurs, se présente, quoi qu’il en dise, comme le « parti de l’ordre ». Funeste référence historique…