Ludovic Mendes : « Si Barnier veut aller vers le RN, il ira tout seul ! »
Fer de lance de la gauche de la macronie, le député Ensemble de Moselle s’insurge contre l’excuse faite par le Premier ministre à Marine Le Pen et s’inquiète des projets de Bruno Retailleau. Il plaide pour une large coalition qui permettrait à la gauche de se réinventer.
Vous êtes une référence de gauche parmi les macronistes, pourquoi ?
Je viens du Parti Socialiste, j’ai une fibre sociale, et sur certains combats je me suis fait entendre : les retraites, l’immigration, l’égalité femmes-hommes, la lutte contre les discriminations. J’étais très proche de Sacha Houlié. Certes, Stella Dupont est un peu plus à gauche que moi. J’ai voté la loi sur l’immigration et j’en ai été l’un des rapporteurs, elle ne l’aurait pas fait. Mais on savait que le Conseil Constitutionnel allait censurer les ajouts du Sénat. C’était un pari mais j’ai toujours eu confiance dans nos institutions.
Bruno Retailleau veut reprendre le texte de sa loi immigration au Sénat…
Je lui souhaite bon courage pour trouver une majorité ! Il n’y en a pas, sauf avec le Rassemblement National. Et dans cette hypothèse, une grande majorité de notre groupe Ensemble pour la République ne la votera pas.
On a fait de l’immigration un sujet politique alors que c’est un sujet avant tout technique. Il ne sert à rien de taper sur l’AME ou les aides sociales pour lutter contre l’immigration illégale. Il vaut mieux donner les moyens à la police de lutter contre les passeurs et mettre la pression sur l’Union européenne pour qu’Europol devienne une véritable police qui accompagne Frontex.
Quant aux obligations de quitter le territoire français (OQTF), il y en a trop, puisqu’on ne parvient pas à les exécuter. La France est championne d’Europe avec 125 000 OQTF délivrées par an quand la plupart des pays sont en-dessous de 50 000 et que la moyenne européenne est à 30 000.
Avez-vous d’autres lignes rouges ?
Oui, l’Aide Médicale d’Etat (AME) pour laquelle je me fonde sur le rapport de Claude Évin et Patrick Stefanini. Certes, il faut revoir le panier de soins mais les deux auteurs disent qu’il ne faut pas transformer l’AME en Aide médicale d’urgence (AMU). Ce serait dangereux, il y aurait une rupture de soins. Les médecins veulent garder l’AME parce qu’on en a besoin. J’ai vu des familles albanaises arriver avec des maladies transmissibles que l’on ne peut pas traiter sans l’AME. Cela coûte 1 milliard d’euros, rien du tout comparé aux 640 milliards du budget de la Sécurité sociale.
Ma deuxième ligne rouge est la préférence nationale. Si l’on s’embarque sur ce sujet, on n’y arrivera pas. Prenons plutôt les règles qui s’appliquent aux expatriés français quand ils reviennent sur le territoire national. Ils doivent respecter une carence de six mois pour la sécurité sociale, les aides sociales, et le chômage. Un exemple à suivre pour ne pas créer une différence entre un étranger et un expatrié français. La préférence nationale ouvrirait la boîte de Pandore. Elle dirait à toutes les personnes qui ne sont pas de nationalité française ou ne sont pas nées sur le territoire français, qu’elles n’ont droit à rien. Et ça, ce n’est pas possible.
La coloration très droitière du gouvernement Barnier vous hérisse ?
On a hâte d’auditionner Bruno Retailleau à la commission des Lois pour qu’il s’explique sur toutes ses sorties médiatiques. Je croyais que Michel Barnier avait demandé à ses ministres de travailler et de ne pas communiquer. Lui ne fait que cela !
En revanche, quand le ministre de l’Économie Antoine Armand, membre de la majorité, dit que le RN n’est pas dans l’arc républicain, il se fait remettre à sa place et l’on apprend que Michel Barnier a appelé Marine Le Pen pour la rassurer. On fait aussi fuiter qu’il aurait dit à Antoine Armand : la prochaine fois, c’est la porte. Cela veut dire que l’avis de Marine Le Pen est supérieur à celui des membres de l’équipe gouvernementale. Cela a heurté non seulement l’aile gauche, mais la majorité du groupe Ensemble pour la République (EPR). Si Michel Barnier veut aller vers l’extrême droite, il ira tout seul !
C’est une histoire de valeurs et de principes. Je ne pactise pas avec l’extrême-droite. On a le droit de dire que Marine Le Pen est d’extrême-droite. Son parti est un parti d’extrême-droite, ses propositions sont des propositions d’extrême-droite, le Conseil d’Etat l’a confirmé. Toute l’histoire du Rassemblement national et du Front national le démontre. Après la dissolution, on a vu le nombre de ses candidats qui étaient racistes, antisémites, homophobes ou même certains qui avaient été condamnés pour avoir menacé des gens avec des armes.
On a aussi des députés RN qui soutiennent la Russie face à l’Ukraine. On ne peut pas être ami avec Marine Le Pen.
Au groupe Ensemble, nous sommes 60 à gauche et 39 à droite
Comment pouvez-vous affirmer que la majorité des députés EPR ont été choqués ?
Nous avons échangé sur le sujet et des membres de l’aile droite pensent comme moi. David Amiel n’est pas un vilain gauchiste et Gabriel Attal en réunion de groupe mardi matin nous a dit que si Michel Barnier pense que nous sommes seulement quinze sociaux-démocrates, nous allons leur montrer qu’il se trompe.
En réalité, le barycentre du groupe EPR est de centre-gauche. Quand ils ont voulu constituer une aile droite, ils ont réuni une poignée d’anciens LR. Certaines personnalités peuvent parler fort et donner l’impression que c’est la pensée du groupe, ce n’est pas le cas. A la tête de notre groupe parlementaire, il y a eu surtout des sociaux-démocrates comme Richard Ferrand, Gilles Legendre, Christophe Castaner ou Sylvain Maillard et au cas où on l’aurait oublié, Gabriel Attal vient du Parti socialiste. Sur les 99 députés que compte EPR, nous sommes 60 à gauche et 39 à droite.
Qu’appelez-vous à gauche ? Ces 60 députés ont-ils les mêmes lignes rouges que vous ?
On n’est plus dans la même logique que lors de la loi sur l’immigration. Le texte d’alors a déjà été dur à avaler, des collègues ont voté contre, d’autres se sont abstenus ou avaient piscine. Là, on parle de Bruno Retailleau avec un texte qui ne correspond pas à nos valeurs, qui a déjà été contesté en interne et ne pourra pas passer sans le Rassemblement national. C’est plus qu’un épouvantail, il est hors de question de s’allier au Rassemblement national.
Et la gauche dans tout ça ?
Cela me choque que l’on donne des gages à l’extrême droite au lieu de demander à la gauche de se raisonner et de se mettre autour de la table. La gauche ne peut pas crier sur les plateaux de télévision pour dire que c’est toujours la faute des autres. Un responsable politique élu par le peuple ne peut pas se comporter comme un enfant dans une cour d’école. J’en veux à la gauche.
Le Nouveau Front Populaire avec La France Insoumise, ce n’est pas possible. L’avenir du Parti socialiste est compliqué, avec et sans LFI. Aux élections européennes, ce n’est pas le PS qui a gagné mais Raphaël Glucksmann avec Place Publique. Maintenant, il faut se remettre en question et se demander si en restant avec LFI, il y a un avenir à gauche. La majorité sont des sociaux-démocrates en désaccord avec LFI.
Leur tendre la main, c’est faisable s’ils sortent du dogme : augmenter le SMIC, taper sur les riches, accroître les aides sociales. Moi, j’ai ouvert d’autres débats sur la taxe sur les transactions financières, une meilleure rémunération du travail, et comment aller chercher de l’argent sur le capital et sur des revenus qui dorment. Ces thématiques peuvent être mises sur la table avec le Parti socialiste, les écologistes et le Parti communiste.
J’ai aussi rédigé une loi où je propose qu’on augmente tous les salaires, de toutes les branches, une fois par an. Et ça marche.
Créer une coalition qui ressemblerait à un gouvernement d’union nationale
Une autre coalition vous paraît-elle possible ?
Tout est possible. On ne fait pas de la politique au chantage. Si on part du principe que notre épée de Damoclès est le Rassemblement national, il faut s’ouvrir vers la gauche et proposer une manière de travailler tous ensemble. On peut y arriver mais il faut se mettre autour d’une table. Cet été, on a cherché des noms au lieu de savoir quelle politique on voulait mener. Et tant qu’on ne sait pas ce qu’on fait, comment on veut le faire et dans quelles conditions on va le faire, on ne pourra pas définir quelles sont les personnes capables de le faire.
Vous voulez discuter avec les uns et les autres pour tenter de voir s’il y a un programme alternatif à celui que souhaite dicter le RN ?
Oui, c’est exactement ça. On a mis la charrue avant les bœufs. D’abord, on discute du pourquoi et après on voit avec qui. J’espère que l’on n’aura pas besoin de passer par le chaos avant que chacun prenne ses responsabilités. Et je pense à la plus grande des coalitions, des communistes jusqu’aux républicains.
S’il devait y avoir une rupture avec le gouvernement actuel parce que ça va trop loin, notre président Gabriel Attal, devra faire entendre la voix du groupe qui devrait être majoritaire dans cette logique. Ce ne sera pas la volonté de cinq ou six personnes de quitter un groupe parce qu’il ne se sent pas à l’aise. Beaucoup attendent la déclaration de politique générale pour savoir s’ils vont être écoutés. Nous avons un budget à faire passer. Si l’on peut tendre la main à la gauche et travailler avec elle, faisons-le. L’idée est de créer une véritable coalition qui ressemblerait à un gouvernement d’union nationale, excluant LFI et le RN.
Avec quelles personnalités de gauche pourriez-vous discuter ?
On a travaillé avec beaucoup d’entre elles. Je ne vois pas comment on peut mettre d’accord Sophie Chikirou et François Hollande mais je sais qu’on peut travailler avec François Hollande, même s’il est en train de se dire qu’en 2027, il peut faire un come-back. Il faut avoir une forme d’humilité et arrêter de penser que nous sommes capables de répondre seuls à tous les maux. Il faut aussi que le PS arrête de croire qu’il est en train de refaire le congrès d’Épinay. Ainsi, on pourra réinventer la gauche de demain.
Propos recueillis par Valérie Lecasble