Macron : l’été de l’arbitraire
Plus d’un mois après sa défaite, le président se comporte toujours en maître du jeu. L’intermède est baroque et ouaté. Mais au cœur de la torpeur estivale, où est passée la démocratie ?
Au fond, c’est la belle vie… Emmanuel Macron a sans doute accusé le coup de sa défaite du 30 juin et du 7 juillet. Une majorité ratatinée, un groupe parlementaire peau de chagrin, un gouvernement battu, une opinion hostile, une stratégie obscure, une manœuvre perdante, etc. Et pourtant, quelle sérénité ! Le paysage politique est un champ dévasté ou des demi-vainqueurs – qui sont aussi des demi-perdants – s’agitent sans grandes conséquences, face à un gouvernement de démissionnaires en chômage technique et un Parlement en vacances. Mais au milieu de cet État en sommeil, une seule institution reste active, l’Élysée et sa succursale de Brégançon. Magie de la Vème République…
Protégé par ses palais de marbre, hiératiques douillets, et par une constitution de la même pierre, le président agit à sa guise, sans rendre de comptes à personne, en tout arbitraire, délivré d’une opinion fascinée par des Jeux Olympiques de rêve, libéré d’un Parlement dispersé, abrité d’une opposition qui boxe dans le vide, paresseusement installé dans un calendrier élastique à souhait. Les derniers jours de Pompéi ? Plutôt les délices de Capoue.
C’est peut-être le secret de ce long interlude, qu’un chef d’État voué pour l’essentiel aux fastes officiels prend un malin plaisir à étirer indéfiniment. Nommer un Premier ministre ? Hola ! Rien ne presse. Prolongeons ce délicieux instant où le pouvoir concentré entre les mains d’un seul homme peut s’ébaudir sans contrainte ni obstacle.
L’exécutif est censé « expédier les affaires courantes ». Faribole ! Sans que rien ne s’y oppose, il a par exemple renversé le cours de la diplomatie de la France au Maghreb en choisissant le Maroc contre l’Algérie dans l’épineux contentieux qui les oppose sur le Sahara occidental, ce qui sort manifestement du champ des « affaires courantes ». Il a aussi laissé son Premier ministre avancer un projet de loi « pour septembre », qui réforme la législation sur la délinquance des mineurs et se propose de restreindre radicalement « l’excuse de minorité » en vigueur depuis 1945, réforme importante dans ce secteur de la justice. « Affaire courante » ? Pour l’instant les constitutionalistes sont en congé. Ils diront peut-être un jour si ces mesures ressortissent ou non de l’excès de pouvoir.
Au fond, pourquoi rompre le charme ? La France n’a pas de majorité, obéit à un gouvernement de zombies incontrôlés et ne sait pas où elle va : pas grave, le président veille. Il pourrait même innover vraiment. Continuer de jouer les sphinx, réunir le Parlement non en septembre mais à Noël, compliquer à loisir le jeu des prétendants à Matignon en faisant courir toutes sortes de rumeurs sur les impétrants secrètement pressentis, ce qui amuse la galerie, reconduire le budget de 2024 en 2025, comme il en a, paraît-il, le droit, promulguer non des lois mais des édits, etc. Bref, régner selon son bon plaisir. On plaisante à peine.
Un mois après sa défaite, Emmanuel Macron se comporte en vainqueur, feignant de considérer qu’il reste le seul maître d’un jeu qu’il a volontairement paralysé. Cet intermède baroque nous rapproche d’un film de politique-fiction en forme de « feel good movie ». Mais il nous éloigne radicalement des règles de la démocratie.