Macron-Merz, une chance pour l’Europe
Le nouveau chancelier allemand est aujourd’hui à Paris. Sans illusion à l’égard des États-Unis, il pourrait se rallier à l’idée d’une Europe puissante chère aux Français.
La journée de mardi avait si mal commencé pour Friedrich Merz qu’il s’est demandé un instant s’il devait annuler sa visite de mercredi à Paris. A Berlin, ce 6 mai, l’élection par le Bundestag du leader conservateur devait être une simple formalité, la coalition CDU-SPD comptant en principe 12 voix de majorité. Coup de tonnerre à 10h : il lui manquait 6 voix.
Le parlement n’a pas perdu de temps, à 15h 15 Friedrich Merz devient Chancelier avec une majorité absolue de 325 voix. Son échec de la matinée est une première dans l’histoire de la République fédérale.
« La fragilité de la coalition CDU-SPD est apparue au grand jour, elle ne représente que 52% du Bundestag alors que dans les années soixante, les grandes coalitions de ce type comptaient jusqu’à 90% des députés, souligne Marie Krpata, chercheuse au Comité d’étude sur les relations franco-allemandes de l’IFRI. « Avant la mise en place de la coalition, les discussions ont longtemps buté sur le fond pour la modernisation des infrastructures et l’assouplissement du frein à l’endettement, les fameux 3%. De nombreux députés conservateurs considèrent que les investissements d’aujourd’hui sont les dettes de demain. Quant au SPD, il existe encore une frange pacifiste, toujours sceptique sur les capacités militaires. Merz a dû faire des concessions pour moderniser les écoles, les hôpitaux ».
La journée calamiteuse de mardi sera vite effacée par les deux escales de mercredi à Paris et à Varsovie. Friedrich Merz entame sans surprise son mandat par la France, lui qui a mis l’Europe au cœur de ses priorités. Au soir de sa victoire électorale de février, il avait surpris en parlant de Trump sans le nommer : « je ne me fais aucune illusion quant à ce qui se passe aujourd’hui en Amérique ». Depuis lors, la guerre commerciale lancée par l’équipe Trump a bousculé davantage le modèle économique allemand déjà en difficulté.
Emmanuel Macron a hâte de travailler avec lui, ils ont eu l’occasion de se voir à plusieurs reprises, bien avant son élection. Les deux hommes partagent un engagement commun pour l’Europe et plus encore une volonté de faire l’histoire. Longtemps entravé dans sa carrière politique par Angela Merkel, Merz est parti travailler dans le privé, l’assurance et la banque, avant de reprendre sa course après le départ de la chancelière, pour s’emparer enfin du parti en janvier 2022. Ancien reaganien, il se façonne une image de leader pragmatique tout en n’hésitant pas, au début de l’année, à marcher sur les plates-bandes de l’extrême droite, allant jusqu’à faire adopter au Bundestag une motion restreignant l’immigration avec le soutien de l’AFD.
En fait, ce qui rapproche Macron du nouveau chancelier c’est une vision commune du moment politique. Le renversement d’alliance opéré par Trump sur l’Ukraine, sa guerre commerciale, sa volonté d’abattre l’Union Européenne, les visées de Poutine sur le vieux continent, autant d’éléments qui appellent un sursaut.
La singularité de cette séquence doit permettre à l’UE de faire un pas vers une Europe puissance, c’est cette conviction qui sera à l’œuvre pour relancer le vieux couple Paris-Berlin. Le chancelier veut focaliser sa première année sur la relation franco-allemande. « Merz regrette que ses prédécesseurs n’aient pas saisi la main tendue par Macron en 2017 avec le fameux discours de la Sorbonne », reprend Marie Krpata. « Il estime aussi que le triangle de Weimar formé avec la France et la Pologne a lui aussi été négligé. Au-delà de la rhétorique, on sait que l’élargissement du parapluie nucléaire français est sur la table. Merz est prêt à ouvrir ce débat avec Macron car il constate la dégradation des relations transatlantiques. En même temps, les accords de partage nucléaire avec les États-Unis sont toujours en vigueur. La souveraineté européenne figure dans le contrat de coalition conclu avec le SPD, et cela fait écho aux propos de Macron, mais, a court terme, sans les États-Unis, nous n’avons pas les mêmes capacités en matière de sécurité ».
Merz fut autrefois le président d’une association de soutien aux relations transatlantiques. Il est aujourd’hui en pleine mutation. Comme une bonne partie de la classe politique allemande, il n’a pas digéré les interventions intempestives des ténors de l’équipe Trump pendant les élections allemandes. D’une certaine façon, il est en décalage avec sa propre coalition, où une bonne partie des conservateurs n’ont pas encore fait leur deuil de l’Amérique. Le tandem franco-allemand revient, on ne sait pas jusqu’où il peut aller. Dans deux ans Macron aura quitté l’Élysée, Merz sait que le temps est compté.