Manu, lâche-nous !

par Laurent Joffrin |  publié le 11/10/2025

Si l’on veut éviter la dissolution, il n’est qu’une issue à la crise : qu’Emmanuel Macron se comporte enfin en président, c’est-à-dire se mette en retrait de la politique intérieure et laisse faire le Premier ministre pour qu’il trouve un modus vivendi avec les socialistes.

portrait de Laurent JOFFRIN (Photo Philippe-Matsas, 2020)

Ce fut un ballet humiliant pour tout le monde. Convier à l’Élysée les chefs de l’opposition (sans les deux extrêmes, ce qui est une erreur et les valorise), ne rien leur dire et les contraindre ensuite à ne rien dire à leur tour. Une journée superfétatoire, sinon pour signifier que le président, plutôt que de jouer son rôle d’arbitre, continue à manœuvrer au jour le jour, tel ces souverains déchus qui persistent à donner des ordres que personne n’exécute.

Car la réalité politique est somme toute assez simple : le président a perdu deux élections consécutives en deux ans et ne contrôle plus ses anciens partisans, qui ne cessent de le critiquer, jusqu’à demander son départ, ainsi qu’Édouard Philippe vient de le faire. Autrement dit, Emmanuel Macron est dédormais en cohabitation avec un Parlement sur lequel il n’a plus d’influence.

La nomination d’un proche n’y change rien, sinon pour son confort psychologique. C’est avec les partis et face à l’opinion que Sébastien Lecornu peut dénouer la crise – si tant est que cela soit possible – et non avec l’Élysée. Cette situation, la pratique constitutionnelle l’a déjà expérimentée : le chef de l’État garde la main sur la politique étrangère, assure l’unité de la nation et peut, le cas échéant, dissoudre ou démissionner. Pour le reste, il doit rester au-dessus de la mêlée.

Alain Duhamel a trouvé la bonne formule : Emmanuel Macron est très intelligent… sauf en politique. Depuis sa réélection, il n’a commis que des erreurs. Avant elle au demeurant, il avait déjà multiplié les bourdes, se mettant à dos l’opinion populaire par des sorties intempestives. C’est donc à Lecornu d’agir, sur le chemin de crête tracé par la configuration parlementaire, où aucune majorité ne peut se dégager spontanément.

Il n’a qu’une seule corde de rappel pour éviter la chute : passer, officiellement ou non, un accord de non-censure avec le PS, qui détient la clé de sa survie. Cette neutralité implique trois choses : suspendre la réforme des retraites jusqu’à la présidentielle ; mettre à contribution les plus prospères des Français ; améliorer immédiatement le pouvoir d’achat des plus modestes. À ces conditions, les socialistes, qui gagnent des points depuis qu’ils se sont émancipés de la tutelle LFI, pourront laisser vivre le gouvernement, tout en jouant leur rôle d’opposants responsables. Tout le reste est écume, confusion et palinodie.

Laurent Joffrin