Marine Le Pen au pouvoir

par Laurent Joffrin |  publié le 22/01/2025

Trois brillants essayistes décrivent une France gouvernée par le RN, en s’appuyant sur son programme et sur la personnalité de ses leaders (1). Une indispensable dystopie qui fait réfléchir à ce qui nous attend, si jamais…

Laurent Joffrin

Laurent Wauquiez est Premier ministre, Jordan Bardella est à l’Intérieur, Éric Ciotti à la Justice, Henri Proglio à Bercy et Marine Le Pen à l’Élysée. Nous sommes en 2026 et Emmanuel Macron a jeté l’éponge, considérant qu’il ne pouvait plus gouverner. Face aux républicains de droit et de gauche divisés et affaiblis, la cheffe du Rassemblement national a remporté le scrutin présidentiel et s’attèle à la mise en œuvre de son programme.

Le premier obstacle est économique : Proglio constate que l’endettement du pays rend impossible la réalisation des mesures prévues. Il faut négocier avec l’Europe un plan de redressement des finances publiques. Une seule solution : couper dans les dépenses qui concernent ceux qui ne votent pas pour le RN et prioriser les largesses inconsidérées prévues par le parti. Difficile exercice qui aggrave les tensions françaises et échoue à stabiliser le budget.

La présidente et ses ministres se rattrapent sur la sécurité et l’immigration. On abolit le droit du sol, on renforce les frontières et on ouvre la chasse aux sans-papiers, quitte à sortir de l’état de droit et à rejeter les règles prévues par les conventions internationales. On instaure la présomption de légitime défense demandée par certains syndicats de police et on lance de vastes opérations coup de poing pour intimider les délinquants. On parfait le dispositif en déclenchant une « guerre culturelle » contre les artistes « gauchistes », les créateurs subventionnés, la télévision publique et tout ce qui ressemble de près ou de loin à des militants « wokistes », concept élargi en fait à toute la gauche.

Les électeurs du RN sont satisfaits, mais la situation économique se dégrade rapidement, la chasse aux immigrés fait partir toutes sortes de travailleurs utiles aux entreprises et aux services publics, et les bavures nées des nouvelles règles policières mettent le feu aux banlieues. Les finances publiques sont au bord du gouffre, le tourisme se raréfie, les créanciers de la France lui infligent des taux d’intérêt coûteux et une crise ouverte se déclenche avec l’Union européenne. Deux ans plus tard, Marine Le Pen se retrouve face à un impossible dilemme…

Tout cela est conté avec brio, dans un style ironique, parfois trop allusif, et avec une rigueur économique et juridique implacable. Les trois auteurs maîtrisent sur le bout des doigts les arcanes des finances publiques, les contraintes internationales, les principes du droit, les fractures de la société française. Ils déduisent les événements qu’il prophétisent d’une étude précise du projet nationaliste.

Dystopie partisane ? Sans doute : les trois compères sont évidemment très opposés au RN. Mais le réalisme de leur récit est un défi pour ceux qui voudraient le réfuter en le faisant passer pour un simple et facile réquisitoire militant. Indice éloquent : le scénario économique qu’ils déroulent à partir des propositions du RN vaut aussi pour une gauche trop dépensière, qui se heurterait aux mêmes obstacles dirimants. À méditer, donc, par tous ceux qui se soucient de l’avenir français en ces temps de populisme agressif et de démagogie largement partagée…

(1) Guillaume Hannezo, Hakim El Karoui, Thierry Pech, Marine Le Pen présidente, dystopie politique 2026-2028, Les Petits Matins, 262 pages, 20 euros.

Laurent Joffrin