Marine Le Pen dans la nasse

par Laurent Joffrin |  publié le 04/04/2025

On peut retourner le problème dans tous les sens : la cheffe du RN aura bien du mal à s’extraire du piège dans lequel elle s’est enfermée.

Laurent Joffrin - Photo JOEL SAGET / AFP

Le RN manifeste dimanche pour protester contre la décision de justice qui risque de priver sa cheffe d’une quatrième candidature à l’élection présidentielle. Est-ce une bonne idée ? Pas si sûr… Il s’agit, soyons clairs, de faire pression sur les magistrats pour qu’ils adoucissent son sort. Un démocrate pointilleux verrait là une tentative semi-factieuse consistant à jouer la rue contre une condamnation qui a respecté toutes les formes du droit.

Mais les magistrats ? Ils ont fait un geste en annonçant que la cour d’appel examinerait le recours formé par la future candidate dès l’été 2026, de manière à lui ménager, en cas de relaxe ou d’atténuation forte de la peine, la possibilité de concourir. Mais la manifestation aura tout de même lieu. Il n’est pas sûr que cela mette les futurs juges dans de bonnes dispositions. Sont-ils prêts à céder face à une campagne de dénigrement dirigée contre eux. On serait à leur place qu’on ne goûterait guère ces pressions publiques : s’ils modifient le premier jugement, ils seront par définition réputés pleutres. Tout les incitera, dès lors, à ne pas désavouer leurs consœurs et confrères de la première instance.

À vrai dire, la maladresse grossière des lepénistes a jeté sur eux une sorte de malédiction. Après tout, s’ils étaient de bonne foi – comme ils le clament – ils auraient évité tous ces ennuis dès l’origine. Les règles du Parlement européen, disent-ils, sont floues sur la nature exacte du travail dévolu aux assistants parlementaires. Dans ce cas, il y avait un moyen fort simple d’éviter toute mise en cause : demander un éclaircissement aux instances européennes, et s’y conformer ensuite.

Bien entendu, le RN s’en est bien gardé : il était trop avide, sur les instructions de sa cheffe, de profiter de cette manne gratuite consistant à employer ces assistants à des tâches partisanes parisiennes au lieu de les confiner à l’aide des élus européens. Le parti a ensuite employé toutes les chicanes pour annuler les procédures, les entraver ou les retarder. C’est cette guérilla de la mauvaise foi qui explique en grande partie la sévérité du jugement du tribunal correctionnel : à trop narguer la justice – c’est-à-dire la loi – Marine Le Pen subit un choc en retour. Sa surprise et sa colère au moment de la décision finale traduisent avant tout son incompétence politique et judiciaire. Quand on se défend contre un dossier aussi accablant, on évite de traiter les juges par le mépris…

Peut-elle encore s’en sortir ? Là encore, rien n’est moins sûr. La relaxe en appel paraît hors d’atteinte : il faudrait que les juges de second degré désavouent totalement le premier jugement, alors que quiconque lit l’explication des motifs est frappé par l’abondance des preuves (notamment les mails internes où les frontistes remarquent eux-mêmes qu’ils sont dans l’illégalité). Même chose pour l’inéligibilité : la loi l’a rattachée étroitement à la peine en cas de culpabilité reconnue.

Quant au pourvoi en cassation, c’est moins une planche de salut qu’une planche pourrie. Le Canard Enchaîné fait malicieusement remarquer qu’en suspendant la décision de la Cour d’appel, le pourvoi en cassation maintiendrait le caractère exécutoire du premier jugement. Dans les deux cas, donc, avec ou sans pourvoi, Marine Le Pen sera exclue de la candidature. Pour l’éviter, il faudrait que les magistrats se livrent à un exercice juridique acrobatique et hautement contestable, pour prononcer en quelque sorte une peine sur mesure. C’est-à-dire à commettre la faute dont le RN les accuse à grands cris : faire passer la politique avant le droit. Imagine-t-on des juges un tant soit peu indépendants se prêter à une casuistique aussi byzantine ? Non, décidément, les lepénistes auront beau s’époumoner dimanche, ils sont dans un mauvais cas.

Laurent Joffrin