Marine Le Pen et l’Algérie de papa

par Laurent Joffrin |  publié le 30/01/2025

Marine Le Pen estime que la colonisation ne fut pas « un drame ». Une réécriture de l’histoire qui fait douter de l’évolution idéologique du Rassemblement national.

Laurent Joffrin

Décidément, on ne se refait pas. Marine Le Pen, qui a entrepris une longue et ardue « dédiabolisation » du Rassemblement national, semble prise, depuis la disparition de Jean-Marie, d’une sorte de remords familial. Comme si, au fond, elle regrettait, non seulement son père, ce qui est honorable et compréhensible, mais aussi ses idées, ce qui l’est beaucoup moins.

C’est ainsi qu’entreprise par Darius Rochebin, sur LCI, à propos des rapports entre la France et l’Algérie, elle s’est crue obligée de se fendre d’un couplet d’un autre âge sur le bilan de la colonisation française, bien dans la veine des sorties volontairement scandaleuses du paternel.  « Venir dire que la colonisation a été un drame pour l’Algérie, a-t-elle dit, ça n’est pas vrai ».

Pas un drame ? Voilà qui fera tousser quelque peu les historiens. Pas un drame, la brutalité rare de la conquête menée sous Louis-Philippe, qui inaugure la présence française en Algérie ? Par exemple la tactique de « pacification » utilisée par le général Bugeaud, connue sous le nom « d’enfumade », et qui consistait à bloquer dans des cavernes les populations rebelles et à allumer de grands feux à l’entrée pour les exterminer par asphyxie. Rappelons l’ordre du jour édicté par ce général conquérant, inventeur précoce des chambres à gaz dans leur version artisanale : « Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes (…) enfumez-les à outrance comme des renards. » Il est vrai que Jean-Marie Le Pen tenait d’autres chambres à gaz pour « un point de détail de l’Histoire ».

Ces méthodes inhumaines, qui avaient déjà fait scandale à l’époque, ouvraient une longue période de répression destinée à annihiler les révoltes périodiques suscitées par l’emprise coloniale. Marine Le Pen fait ensuite l’éloge de l’oeuvre colonisatrice de la France, en invoquant « les infrastructures » bâties par la puissance coloniale. Cet effort est réel, mais il était surtout produit pour faciliter l’exploitation du pays et améliorer le sort des colons. La population autochtone était maintenue dans une misère criante, attestée par toutes sortes de rapports rédigés au fil des années par ceux qui s’intéressaient au sort des colonisés, doublée par un statut juridique inférieur et humiliant.

Le drame est double, de surcroît. Toutes les tentatives de réforme ou d’évolution, à l’instar du plan Blum-Violette de 1936, étaient retoquées sous la pression des Français d’Algérie et du « parti colonial » dont Marine Le Pen se pose en héritière. Les revendications des nationalistes algériens les plus modérés– celle de Ferhat Abbas, par exemple – étaient systématiquement écartées par les autorités, et l’ordre colonial maintenu par des truquages électoraux éhontés. Ce qui a ouvert la voie aux indépendantistes les plus durs, qui ont opté pour la lutte armée, faute de réformes qui auraient pu mener à un retrait pacifique et négocié. Ainsi a commencé la guerre d’Algérie, qui fut par excellence un drame, justement, provoqué par l’intransigeance du parti colonial.

Ce qui repose la sempiternelle question qui mine les efforts déployés par Marine Le Pen pour se parer d’un manteau de respectabilité : le RN est-il, au fond, si différent du FN ? La posture, le style, tranchent à coup sûr sur l’ancienne manière du fondateur. Mais la fidélité idéologique d’une fille à son père, qui semble ressurgir à la faveur de la disparition de Jean-Marie Le Pen, antisémitisme en moins, jette un doute majeur sur cette conversion officielle.

Laurent Joffrin