Marine Le Trump

par Laurent Joffrin |  publié le 14/11/2024

Le RN a lancé une vaste campagne destinée, par tous les moyens de propagande possibles, à sauver sa cheffe mise en difficulté par la justice. Sur un modèle inspiré directement de Donald Trump.

Laurent Joffrin

Il faut revenir sur la polémique déclenchée par les lepénistes contre le réquisitoire du parquet, qui a demandé sa condamnation à cinq ans de prison, une forte amende et cinq ans d’inéligibilité dans l’affaire des assistants parlementaires RN au Parlement européen.

D’abord les faits : ils sont accablants. Au fil des audience, il est apparu, au vu des messages internes, des mails des témoignages des protagonistes, qu’un système global d’utilisation indue des assistants parlementaires européens au bénéfice du parti de Marine Le Pen avait été mis en place. D’où le sévère réquisitoire prononcé par les procureurs.

Sur BFM, Jean-Philippe Tanguy, parlementaire RN, dit : « Marine Le Pen est innocente ». Il se prévaut d’une tribune publiée dans la Figaro par Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil Constitutionnel. La chose est amusante. Schoettl juge les peines demandées excessives (on y reviendra), mais voici ce qu’il dit sur les faits. Nous le citons largement pour le fun : « Dans ses réquisitions très fournies, le parquet n’a guère eu de mal à démonter, compte tenu de l’abondance et de la convergence des indices, le système organisé entre 2004 et 2016 par les dirigeants du RN pour mettre les assistants de ses eurodéputés au service principal, voire quasi exclusif, de l’appareil national du parti. Or les tâches confiées aux assistants des eurodéputés doivent être en rapport avec le mandat européen. C’est en cela que réside le détournement de fonds publics. Je ne le discute pas. » Effet comique garanti.

Il y a en fait deux vérités : celle des débats, et celle du RN, alternative, qui proclame l’innocence de la prévenue quand tous les indices vont dans l’autre sens. Pas grave : Trump a montré la voie. Il suffit de nier l’évidence et l’opinion suivra. Schoettl continue, et c’est là que le débat commence : « C’est condamnable, certes, dit-il, mais non, me semble-t-il, au point de justifier la rigueur des peines requises. » Toute la question est là. C’est sur ce point, d’ailleurs, qu’insistent la plupart des défenseurs du RN, qui vont de Gérald Darmanin à Jean-Luc Mélenchon (qui craint pour lui-même). Ce qui sous-entend qu’ils ont déjà admis la culpabilité de Marine Le Pen, mais qu’ils estiment qu’elle est trop sévèrement punie.

Est-ce vrai ? En fait, ce sera aux juges d’en décider, puisque le jugement n’est pas rendu et que rien ne dit que le siège suivra le parquet. Mais le réquisitoire ? Rappelons une réalité simple : dès lors que le délit est constitué, la loi prévoit des peines allant jusqu’à dix ans de prison, et les assortit automatiquement d’une inéligibilité, sauf décision motivée de la cour. Nous sommes donc dans la moyenne des sanctions et les juges n’ont pas encore statué. Ils peuvent fort bien décider de ne pas adjoindre à ce quantum l’interdiction de se présenter à une élection. Ajoutons que cette loi n’est pas tombée du ciel : elle a été votée en 2016 par le Parlement, qui légifère au nom du peuple français. Marine Le Pen est donc une prévenue comme une autre et on ne voit pas pourquoi elle devrait se situer au-dessus des lois. Là encore, la rhétorique du RN fait partie de ces « vérités alternatives » chères au président-élu américain.

Le RN attribue en effet à un très nébuleux « système » le sort qui lui est réservé. Ce qui revient à accuser les magistrats de rouler pour tel ou tel parti (alors qu’ils ont condamné des délinquants de toutes obédiences, Sarkozy, Fillon, Bayrou, des élus socialistes, etc.) ou bien pour une « caste » plus ou moins mythique qui les tiendrait dans sa main, thèse fantasmagorique en faveur de laquelle ils n’apportent pas le moindre commencement de preuve factuelle, mais qui a l’avantage de rencontrer un préjugé largement répandu sur Internet. Exactement l’argument utilisé par Donald Trump depuis toujours. Rappelons, pour ajouter une touche un peu sinistre à ce billet, que Trump vient d’être élu président des États-Unis.

Laurent Joffrin