Maroc-Algérie : les voisins terribles
La « fraternité arabe » devrait rapprocher ces deux pays : ils ne cessent de s’affronter, avec pour enjeu le leadership africain.
Maroc et Algérie vivaient depuis longtemps dans une hostilité endémique. Ils sont maintenant lancés dans une véritable guerre froide, et pas seulement autour du dossier incandescent du Sahara occidental.
On peut s’étonner de cette brouille si amère, opposant deux peuples si solidaires à d’autres moments de l’histoire. Le Maroc peut rappeler le souvenir du soutien qu’il a accordé à Abdelkader, le héros de la résistance algérienne dans les années 1840. Le sultan marocain Moulay Abderrahmane avait volé à son secours, pour lutter contre contre la colonisation française et il en a payé le prix en subissant des bombardements meurtriers ou bien en livrant de sanglantes batailles comme celle d’Isly. Un siècle plus tard, le roi Mohammed V refusa de se plier à certaines exigences françaises destinées à démanteler l’Algérie, alors même que certaines d’entre elles auraient favoriser le royaume.
Forts de cette histoire, les Marocains peuvent avoir le sentiment que l’Algérie fait maintenant preuve d’ingratitude et qu’elle ne concède rien en retour. Mais depuis la guerre d’Algérie, le destin des deux pays a pris des chemins divergents. À la monarchie séculaire de droit divin s’oppose depuis 1962 une république « née des hommes et de leur sacrifice » et dont beaucoup d’Algériens pensent que l’indépendance serait advenue, de toutes manières, sans l’aide des Marocains, si bien que toute « reconnaissance » à leur égard n’aurait aucun sens.
Aussi bien, « la guerre des sables » de 1963 a laissé aux Algériens le sentiment que le Maroc profitait des difficultés de la jeune république algérienne pour tenter de conquérir une partie du Sahara et de ses richesses minérales. La médiation de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) a certes abouti à une paix provisoire respectant les frontières, mais ces frontières étant elles-mêmes très imprécises dans ces « territoires sans eau » ni habitants, elles pouvaient être remises en question en permanence. Ce que ne manqua pas de faire le roi Hassan II lors de la « marche verte » de 1975 pour affirmer sa souveraineté sur le Sahara occidental, les Sahraouis étant désormais divisés entre partisans du Front Polisario et tenants de leur « marocanité ».
Dans cette affaire, l’Algérie ne peut pas cacher ses ambitions géopolitiques. Elle souhaite disposer d’une ouverture sur l’Atlantique et préfère avoir à ses côtés un État vassalisé, indépendant du Maroc, qui lui procure le libre passage. D’où son soutien au Front Polisario. Il lui sied également de couper l’accès direct du Maroc à l’Afrique sub-saharienne pour se prémunir contre l’influence que ce dernier voudrait y exercer.
La volonté désormais transparente du Maroc de jouer le rôle d’une tête de pont entre une Europe affaiblie et l’Afrique sub-saharienne, ne peut qu’aviver les tensions. Il ne s’agit plus de querelles frontalières, mais d’une véritable guerre froide qui a pour enjeu le leadership en Afrique. Les alliances internationales ne font que le confirmer. Le Maroc est de plus en plus proche de l’Europe et des Occidentaux, comme en témoignent le soutien de la France et de l’Espagne à sa position sur le Sahara occidental, l’accord bilatéral conclu avec les États-Unis et le rapprochement avec Israël. Marginalisée au sein de l’Union Africaine, l’Algérie est proche de la Russie et de la Chine. Elle entretient des liens ambigus avec les groupes islamistes et souhaite rejoindre le groupe des BRICS, ces pays sous hégémonie chinoise, coalisés pour mettre en cause l’hégémonie occidentale. Entre les deux voisins, malgré tous les appels à une « fraternité arabe », cette guerre froide ne fait que commencer.