Matignon : le tir aux pigeons
Les candidats au poste de Premier ministre se font canarder les uns après les autres. Mais derrière cette hécatombe, il y a une tentation forte : éliminer la gauche, gouverner avec la droite sous l’œil du RN.
Un peu longue, tout de même, la partie de ball trap élyséenne. Un conseiller du président crie « pull ! », un nom s’élance dans l’air médiatique et explose quelques secondes plus tard, fusillé par une salve meurtrière. Castets, Bertrand, Cazeneuve, Beaudet, Lisnard, Barnier, bientôt peut-être Dugenoux ou Tartempion… Tous y sont passés, ou vont le faire, rayés des listes aussitôt qu’ils y entrent, pour y être remis puis biffés de nouveau. Allez, Manu, décide-toi !
Cette valse des impétrants a-t-elle un sens ? On finit par en douter, tant l’indécision du président est effarante et ses revirements imprévisibles. L’élimination de Castets, quoi qu’on en pense, obéissait à une logique : les autres forces politiques annonçaient le dépôt d’une motion de censure. Quant à celle de Cazeneuve, si elle se confirme, a une double origine : le président craint de voir ses réformes annulées ; Olivier Faure ne veut pas de ce rival et fait tout pour lui savonner la planche, de manière à contenter Mélenchon et à se garantir contre l’émergence d’une force sociale-démocrate.
Restent donc, dans cette hypothèse, et si Macron choisit un politique, les chevaux de retour de la droite : Bertrand, Lisnard ou Barnier (pour l’instant). Merveilleuse solution qui donne le pouvoir à un homme issu du plus petit parti possible, LR, bon dernier aux législatives et qui contredit totalement l’esprit du « front républicain », seul message clair des législatives, en se plaçant sous l’aile protectrice de Marine Le Pen, soudain placée en arbitre ou en impératrice romaine : il lui suffira d’abaisser le pouce pour décider la fin du Premier ministre, c’est-à-dire de voter une des motions de censure que la gauche ne manquera pas de déposer.
L’électeur des législatives est ainsi trois fois trahi : il voulait une autre politique, il aura la même un peu droitisée ; il a placé en tête le RN, puis la gauche, puis le centre, il n’aura aucun des trois ; il souhaitait une coalition large issue du « Front républicain », il aura une alliance étroite entre macronistes et républicains. Remarquable performance politique : Emmanuel Macron voulait « clarifier », il organise un combat de catch dans la mélasse. Jusqu’au moment où la classe politique ridiculisée et l’opinion exaspérée en auront assez, se retourneront contre lui et exigeront son départ. Alors ce ne sera plus le tir aux pigeons, mais la chasse à courre.