Matignon : l’hypothèse Cazeneuve

par LeJournal |  publié le 12/08/2024

Faute d’une gauche plombée par les outrances de LFI, l’ancien Premier ministre pourrait fort bien diriger une équipe de « défense républicaine ».

Laurent Joffrin

Esprit des Jeux, resteras-tu là ? Depuis la cérémonie de clôture – une nouvelle réussite – les commentateurs tentent de tirer d’augustes prévisions d’un événement dont ils n’avaient rien prévu. Avant les Jeux, ils avaient prédit le pire pour applaudir ensuite, avec la même force, le meilleur qui se déroulait sous leurs yeux soudain dessillés. Se tromper ? Toujours. Douter ? Jamais.

Selon le philosophe allemand Peter Sloterdjik, hôte du Collège de France, il n’est qu’une manière de prédire l’avenir : c’est de faire une promesse et de la tenir. Ainsi, plutôt que de se lancer dans d’incertaines prophéties sur la pérennité de cette confiance française tout à coup réapparue, les responsables publics seraient bien inspirés d’agir pour la maintenir. Le conseil vaut pour les médias, dont les cuisantes erreurs avant les Jeux devraient les inciter à remiser la manie du dénigrement qui les anime habituellement pour retrouver l’esprit critique qui leur sied mieux, qui consiste à rendre à ce qui est positif dans l’actualité une place plus visible à côté des tracas ou des drames qui ne manqueront pas d’assaillir le pays.

La suggestion vaut aussi pour celui qui exerce par sa fonction la plus forte influence sur l’humeur de la nation : le président de la République. Le temps ayant suspendu son vol pour laisser les athlètes lutter sans gêne contre lui, Emmanuel doit reprendre les choses là où il les a laissées, c’est-à-dire trouver pour la France un gouvernement capable d’affronter les défis qui attendent le pays. Avec une condition préalable : qu’il reconnaisse qu’il n’est plus le maître du jeu, encore moins des horloges, mais un chef d’État en cohabitation avec un Parlement qui ne lui est pas favorable. Il était monarque hautain : il doit devenir humble arbitre. À s’y refuser, il prendrait une grave responsabilité.

Sa première mission ? Reconnaître le verdict des urnes. Or c’est un fait : la gauche est arrivée en tête. La moindre des choses consiste donc à recevoir la jeune femme qu’elle a désignée pour diriger un éventuel gouvernement, quitte à constater ensuite qu’elle ne dispose pas d’une majorité suffisante pour se présenter devant les députés, pour la bonne raison qu’une motion de censure – dirigée contre LFI plus que contre elle – mettrait aussitôt fin à sa courte carrière. Mais c’est une question de principe : la volonté des électeurs doit primer sur le bon plaisir du prince. Tout autre attitude reviendrait à traiter par le mépris un tiers des Français, ce qui serait une drôle de manière de prolonger l’unité nationale qui a régné pendant les Jeux.

Si le Nouveau Front Populaire ne peut pas diriger le pays, il faudra bien trouver, néanmoins, un successeur à Gabriel Attal. Parmi tous les scénarios qu’on agite depuis plusieurs jours, l’un d’eux aurait le mérite de rassurer les républicains : c’est la nomination de Bernard Cazeneuve. Certes, l’intéressé aurait devant lui un défi qui s’apparent à la quadrature du cercle. Mais il aurait le grand mérite de rassurer, par sa rigueur républicaine, ceux qui se sont coalisés au-delà des appartenances partisanes pour assurer la défaite du Rassemblement national. Défendre la République : c’est le seul message clair sorti des législatives ; Cazeneuve est bien placé pour l’incarner. Quant à sa compétence et à son sens de l’État, ils sont reconnus jusque parmi ses adversaires. Le reste serait affaire de discussion et de compromis entre le centre, une partie de la gauche et une partie de la droite, exercice incontournable dans tous les cas de figure avec un Parlement sans majorité naturelle.

Malheureusement, en définitive, il est fort possible, voire probable, que le macronisme, penchant à droite depuis plusieurs années, finisse par y tomber. Nous serions alors condamnés à la peu joyeuse apparition d’un Xavier Bertrand, d’un Michel Barnier ou d’un Gérard Larcher, qui succéderait à Gabriel Attal. Après le poulain du centre, un cheval de retour de la droite… Tel est le scénario central : une réincarnation tardive de feue l’UMP de Jacques Chirac. Invention factice, le macronisme montrerait alors son vrai visage, ce qui serait aussi une manière d’éteindre une fois pour toutes la flamme olympique.

LeJournal