Mayotte : une catastrophe très politique

par Laurent Joffrin |  publié le 15/12/2024

La tragédie qui frappe ce département français n’est pas seulement le fait d’un cyclone particulièrement violent. Elle trouve sa cause dans l’impuissance politique qui caractérise le gouvernement de l’île par ses élus et par la France.

Laurent Joffrin

Officiellement, c’est une catastrophe naturelle. Par une malchance insigne, le cyclone Chido, telle une bombe climatique, a frappé au cœur le petit archipel français, levant des vents de plus de 250 km/h qu’on n’avait pas enregistrés depuis environ un siècle et qui ont ravagé le département le plus pauvre de France. Mais dès qu’on pose des questions élémentaires, on s’aperçoit que les causes du désastre relèvent bien plus de la responsabilité des hommes que de la nature.

Pourquoi des quartiers entiers, les plus pauvres, ont-ils été pratiquement rasés dans cette région du monde habituée aux cyclones ? Et pourquoi les autorités ont-elles renoncé à établir un bilan humain, déclarant seulement qu’il sera très supérieur aux chiffres déjà annoncés (14 morts dans un premier temps, probablement des centaines, ou des milliers au bout du compte) ?

Pour le comprendre, il faut effectuer un court rappel historique. Colonie française depuis Louis-Philippe, l’archipel des Comores, dont Mayotte fait géographiquement partie, a accédé en 1974 à l’indépendance. Mais les Mahorais, par un vote aux deux tiers plusieurs fois confirmé dans des référendums successifs, ont préféré rester dans l’orbite française, obtenant même l’instauration d’un statut départemental qui en fait des citoyens français de plein exercice. Si bien qu’à l’envers du catéchisme « décolonial », Mayotte toujours « colonisée », quoique le département le plus pauvre de France, bénéficie d’un niveau de vie très supérieur à celui des îles voisines, placées sous la coupe d’un régime autoritaire instable et incompétent.

Cette disparité criante a fait très logiquement naître un flux migratoire massif, sous la forme de traversées incessantes de petits bateaux (les « kwassas-kwassas ») transportant des migrants sans-papiers des Comores vers Mayotte. Ces migrants s’installent généralement dans des habitats précaires – des bidonvilles, pour parler clair – qui accueillent dans des conditions déplorables des dizaines de milliers de familles misérables privées de toute existence légale. Exactement celles qui sont les principales victimes du cyclone Chido, qui a volatilisé avec une violence inouïe leurs masures de bois et de tôle.

La pauvreté et le déracinement ont engendré l’apparition d’une délinquance endémique et très violente qui pourrit en permanence la vie des Mahorais. Les autorités françaises ont réagi en tentant d’endiguer le flot des réfugiés, renvoyant sans ménagement une partie des nouveaux arrivants, qui tentent aussitôt de nouvelles traversées. Ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, à la demande des élus locaux, a tenté de rétablir un semblant d’ordre à la faveur d’opérations coup de poing dénommées « Wuambushu » (« reprise en mains »). Mais leur bilan est mince et très contesté. De même, divers plans d’aide et de développement ont été mis en œuvre par Paris, avec un succès très insuffisant. Anecdote : la France insoumise a protesté hautement contre ces menées « coloniales », à l’exception de son représentant local, plus au fait de la situation, qui a refusé de les condamner.

Pour toutes ces raisons, à la différence de certaines voix d’opposition à Paris, – qui ont sans doute dans leur besace des solutions miracles – on se gardera de condamner sans réfléchir l’action de l’administration française. Placées devant un problème inextricable, celui d’une immigration massive qu’on ne peut réduire drastiquement sans violer les conventions internationales et d’un besoin de financement qui entre en concurrence avec les demandes légitimes des autres populations pauvres, en métropole et dans les outremers, elles parent au plus pressé, sans jamais résoudre sérieusement la question.

La catastrophe Chido montre que cet entre-deux ne suffit plus. Outre les secours immédiats, dont l’intensité doit être portée rapidement à la hauteur du drame subi par nos compatriotes mahorais, il est clair que l’effort administratif et financier doit être nettement accru, quitte à sacrifier d’autres priorités, tout en prenant des mesures humaines mais fermes pour maîtriser l’arrivée des migrants qui sont, après tout, en raison de leur origine, sous la responsabilité des autorités comoriennes.

Laurent Joffrin