Mendès-France attendra

par Valérie Lecasble |  publié le 18/06/2025

Avec le conclave sur les retraites, le Premier ministre veut franchir la deuxième étape du redressement financier du pays, avant l’annonce de son projet d’économies à la mi-juillet et le vote du budget 2026 à l’automne. « Je crois qu’il y a un chemin », persiste-t-il à affirmer.

Francois Bayrou répond au président du groupe socialiste au sujet de la réforme des retraites et le conclave sur les retraites, lors de la séance publique de questions au gouvernement à l'Assemblée Nationale, le 17 juin 2025. (Photo Xose Bouzas / Hans Lucas via AFP)

Ce n’est un secret pour personne, François Bayrou se rêve le Mendès-France des temps modernes. Historien, il se compare à l’éphémère président du conseil qui, de juin 1954 à février 1955, a conclu en huit mois seulement la paix en Indochine, préparé l’indépendance de la Tunisie et amorcé celle du Maroc, avant d’être renversé par l’Assemblée Nationale pour avoir refusé celle de l’Algérie.

Quelle folie de se comparer à l’une des figures politiques la plus respectée, alors qu’il est le Premier ministre le plus impopulaire de la Vème République, celui qui a initié le moins de projets de loi et a même été accusé d’avoir couvert des abus sexuels à Notre-Dame de Betharram ! Sans majorité politique à l’Assemblée, où certains le surnomment « roi fainéant », on le taxe d’immobilisme.

François Bayrou s’en moque. Il n’a pas à décoloniser la France mais il s’est donné comme mission de la redresser. Presque la sauver estime-t-il, de sa montagne de dettes et de déficits qui plombent le futur des nouvelles générations. Convaincu qu’il en a la capacité, François Bayrou a une haute opinion de lui-même.

« Je crois qu’il y a un chemin » persiste-t-il donc à répéter. Car François Bayrou a un plan. L’étape numéro un est derrière lui : réussir là où Michel Barnier a échoué en faisant voter le budget 2025. L’indispensable non-censure des socialistes a ouvert l’étape deux : l’ouverture du conclave sur les retraites qu’il a dû octroyer à la gauche en échange de son blanc-seing. Quand personne n’y croit, lui espère. L’ultime réunion a été reportée au lundi 23 juin qui décidera de sa victoire politique. Déjà, l’acceptation par les syndicats du maintien de l’âge légal à 64 ans sauve la réforme Macron de 2023, répond à la revendication du patronat et respecte l’équilibre financier qu’il a imposé.

Mais le Medef lâchera-t-il en échange les concessions que réclame la CFDT qui veut rendre le système plus juste avec des mesures ciblées en faveur des femmes et « réparer » pas seulement « prévenir » la pénibilité ? Une exigence de justice sociale selon sa patronne Marylise Léon, tandis que le patronat y voit au contraire la tentative masquée d’exonérer de l’âge légal de nombreuses catégories de français qui partiraient plus tôt à la retraite en raison de la pénibilité de leur travail. Sans oublier la dernière trouvaille de la CFTC, celle de ramener de 67 à 66 ans le taux plein contre laquelle le Medef est vent debout.

S’il était finalement adopté le 23 juin, François Bayrou repoussera à novembre la discussion du texte au Parlement lors du vote sur le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) puisque l’article 40 de la Constitution empêche sinon toute diminution des ressources publiques.

François Bayrou peut-il encore réussir malgré les dissensions qui persistent ? Avec les défauts qu’on lui connaît – flou, procrastination, dilettantisme -, le Premier ministre a une qualité : il sait écouter. A l’ancienne, il prend le temps de la discussion. Du temps perdu, selon les Retailleau et Darmanin, insatiables adeptes de l’agitation. Du temps pour dialoguer et avancer vers le compromis, dit Bayrou.

La troisième étape est prévue pour la mi-juillet, lorsqu’il annoncera aux Français comment remettre d’équerre les finances du pays. TVA sociale, année blanche ou aides à domicile, ces ballons d’essai lancés par ses ministres, ne suffiront pas et ne seraient rien sans le plan sur lequel il planche méthodiquement depuis quatre mois, et dont le principe selon un proche conseiller est « de supprimer tout ce qui ne fonctionne pas et d’accélérer ce qui fonctionne ». Derrière ce concept abscons résideraient des décisions drastiques, à la suite d’un audit méticuleux pour redresser la France.

A la rentrée, interviendra la dernière étape, celle du grand saut final : l’adoption du budget 2026 où, quitte à se faire renverser, François Bayrou préfèrerait que ce soit sur un projet ambitieux plutôt que pour quelques mesurettes. Pour éviter la censure du budget à l’automne il lui restera la martingale de la proportionnelle, cette réforme du scrutin électoral que souhaitent les deux partis qui tiennent son sort entre leurs mains : le Rassemblement national et le Parti socialiste. Une monnaie d’échange suffisante pour ne pas se faire renverser, à l’inverse de son modèle Mendès-France ?

Valérie Lecasble

Editorialiste politique