Meurtre dans une mosquée : le rôle de l’extrême-droite

par Laurent Joffrin |  publié le 28/04/2025

On invoque à juste titre un « antisémitisme d’atmosphère » pour dénoncer les attaques contre les Français juifs. Doit-on passer sous silence « l’islamophobie d’atmosphère » ?

Laurent Joffrin

L’extrême-droite est-elle coupable ? De près, non. De loin, à coup sûr. Boubakar Cissé, jeune malien musulman, pratiquant pacifique comme il y a tant en France, a été tué dans la mosquée de la Grand-Combe, village cévenol habitué à la diversité de ses habitants, où une marche blanche consensuelle a été organisée en son hommage.

Le procureur est prudent et cite la piste islamophobe parmi d’autres. Les indices dont on dispose sont plus nets : l’assassin a piégé sa victime en lui demandant des conseils pour la prière, et l’a ensuite lardé que quarante coups de couteau en proférant des insultes envers Allah, le dieu des musulmans. Il s’est enfui en promettant de recommencer, menace prise au sérieux par les autorités puisqu’elles ont annoncé qu’elles exerceraient une surveillance plus resserrée autour des mosquées du pays. N’est-ce pas éloquent quant à son mobile ?

À ce stade, nous sommes loin de Marine Le Pen ou de Zemmour, on le reconnaîtra volontiers. Mais quelle que soit la personnalité exacte de l’assassin, comment ne pas mettre en relation son geste avec l’obsessionnelle propagande de l’extrême-droite, non seulement contre les fanatiques musulmans, mais contre l’islam en général ?

On dira que c’est un raccourci hasardeux, polémique. Mais quand des musulmans ralliés au djihadisme tuent des passants au nom de leur religion, se gêne-t-on pour mettre en cause, souvent à juste raison, l’islamisme, serait-il piétiste ou strictement politique ? Quand des Français juifs tombent sous les coups de meurtriers aux motivations religieuses, hésite-t-on à accuser un climat ambiant d’antisémitisme, notamment parmi les intégristes musulmans ? Et a-t-on tort de le faire ?

Quand des criminels tuent au nom de telle ou elle idéologie, celle-ci peut-elle être exonérée de toute responsabilité ? On sait bien que non. Quand naguère Action directe, groupe terroriste d’extrême-gauche, assassinait sur telle ou telle personnalité jugée symbolique, pouvait-on soutenir que leur geste n’avait aucun rapport avec les thèses marxistes-léninistes défendues par les courants intellectuels partisans de l’action révolutionnaire ? Bien sûr que non. Les mots précèdent les actes et, parfois, les enclenchent.

Les réquisitoires violents, les appels explicites ou implicite à la lutte armée, créent le paysage mental et idéologique dont s’emparent des activistes exaltés – ou les personnalités fragiles et dérangées – pour justifier leurs crimes. On n’appelle pas impunément à l’action violente, on ne diffuse pas la haine sans que celle-ci ne finisse par enfiévrer tel ou tel cerveau vulnérable ou affecté de penchants meurtriers.

Ainsi quand l’extrême-droite passe le plus clair de son temps à dénoncer, non seulement le djihadiste islamiste, ce qui est banal, mais aussi l’islam en général, avec une mauvaise foi patente, peut-elle jouer les Ponce-Pilate et s’en laver les mains ? Quand Éric Zemmour explique d’un ton péremptoire, que « l’islamisme et l’islam, c’est pareil », ne fait-il d’autre que d’assimiler l’ensemble des musulmans aux assassins du terrorisme islamiste ? Que fait-il d’autre, pour être plus direct, que justifier sans le dire, indirectement mais de manière très claire, ceux qui s’en prennent physiquement aux musulmans, comme vient de le faire l’assassin de la Grand-Combe ?

À cette culpabilité par propagandisme s’ajoute une certaine maladresse des autorités publiques. Bruno Retailleau a eu des mots justes pour stigmatiser le meurtre de Boubacar Cissé. Mais il a mis 48 heures à se rendre sur place et n’est pas allé visiter la mosquée où s’est déroulé le drame, alors qu’il s’était rendu immédiatement à Nantes lors du meurtre d’une jeune fille dans un collège catholique. Certains musulmans de Grand-Combe parlent d’un « deux poids-deux mesures ». Ont-ils tort ?

Enfin, lorsque pendant une manifestation de solidarité à Paris, appelée entre autres par LFI, des manifestants ont conspué le socialiste Jérôme Guedj aux cris de « PS, Parti sioniste », croient-ils que des cris antisémites équilibreront l’acte antimusulman de Grand-Combe ? Non. Ces fanatiques des deux bords ne font qu’exacerber les hostilités intercommunautaires dans la République. L’extrême-droite facilite par sa propagande les actes antimusulmans, et l’extrême-gauche les actes antisémites.

Laurent Joffrin