Miles Franklin, la romancière venue du bush
Dans une biographie passionnante, Alexandra Lapierre s’intéresse à la vie secrète de Miles Franklin, figure aventureuse des lettres australiennes.

Vous connaissez le Goncourt ou le Pulitzer, mais connaissez-vous le Miles Franklin Literary Award, la plus haute récompense des lettres australiennes ? Tous les ans depuis 1957, au début du mois d’août, la photo de Miles Franklin en robe d’amazone, assise cavalièrement sur le bras d’un fauteuil, son fouet de bestiaux à la main, tourne en boucle sur les écrans de télévision, racontant l’incroyable saga de la petite fille du bush devenue une légende. À seize heures quinze précises, le nom du vainqueur tombe, suivi bientôt d’un chèque de 60 000 dollars australiens (36 000 euros).
C’est à la mort de Stella Maria Sarah Miles Franklin, âgée de 74 ans, le 19 septembre 1954, que la création de ce prix a été annoncée devant notaire à l’ouverture de son testament. À la stupéfaction générale, on découvrait que la romancière qui vivait de ses modestes droits d’auteur, était, en fait, millionnaire.
La saga du bush australien qui cartonnait depuis près de vingt-cinq ans, publiée par un inconnu du nom mystérieux de Brent of Bin Bin, était en fait l’œuvre de Miles Franklin. Le secret avait été bien gardé. Même Blackwood, son éditeur à Édimbourg, ignorait l’identité de Brent of Bin Bin, l’auteur de Up The Country (1928), Ten Creeks Run (1930), Back to Bool Bool (1931). Les droits d’auteur passaient par une boîte postale relevée par une unique complice.
Cette magnifique supercherie littéraire qui dura un quart de siècle aurait pourtant être pu éventée. Car Miles Franklin – un nom d’homme – s’était révélée des décennies plus tôt avec un livre qui fit scandale, My Brillant Carrer (1901). Double scandale. D’abord parce qu’il décrivait d’une manière violemment caustique les fermiers du bush, y compris ses propres parents. Ensuite, parce que l’on a découvert que ce livre, refusé par tous les éditeurs australiens et publié en Écosse, était l’œuvre d’une jeune fille de vingt ans et non d’un homme.
Écrasée par le poids de ce roman dont elle n’avait pas mesuré toutes les implications, Miles Franklin part pour l’Amérique. Elle arrive sans un sou à San Francisco, alors ravagé par un terrible tremblement de terre. Tirant le diable par la queue, vivant dans des gourbis, elle finit par rejoindre Chicago. Là, elle entame une vie de luttes au service des plus faibles et d’engagements féministes. Elle prend des risques physiques en participant aux manifestations des ouvrières ou des féministes.
Cette petite poupée à l’aspect fragile cache un caractère d’acier. Irrésistible, elle séduit le ban et l’arrière-ban de l’aristocratie des millionnaires locaux. Nombreux sont ceux qui rêvent de l’épouser ou de la mettre dans leur lit. Mais Miss Franklin ne mange pas de ce pain-là. Elle les éconduit un à un, sans qu’on devine, finalement, ce qu’elle attend vraiment des hommes et de la passion amoureuse. Cela restera un mystère.
On la retrouve ensuite pendant la Grande Guerre, dans Balkans à Ostrovo dans un hôpital de campagne. Une véritable boucherie au cœur de laquelle elle suscitera l’admiration de tous grâce à son énergie et à son courage.
Une fois encore, Alexandra Lapierre donne une biographie, légèrement romancée, d’une femme d’exception. Après Fanny Stevenson, Artemisia, Moura ou Belle Greene, elle poursuit son impeccable parcours. Et nous fait non seulement découvrir, mais aussi aimer cette fille du bush au cœur de braise.
L’ardente et très secrète Miles Franklin, de Alexandra Lapierre, éditions Flammarion, 500 pages, 23€