Mini-sommet brun dans le Loiret

par Boris Enet |  publié le 09/06/2025

Tout près de Montargis, un an jour pour jour après le résultat des Européennes et l’annonce de la dissolution, les populistes du groupe « Les Patriotes pour l’Europe » viennent prêter main forte à leurs homologues français.

Marine Le Pen et Jordan Bardella à Mormant-sur-Vernisson, le 9 juin 2025.

Alors que les gauches peinent toujours à intégrer une grille de compréhension et d’action européenne, une fois passées les joutes électorales, l’extrême-droite rappelle la nature de son agenda et de ses objectifs. Bien sûr, tous se déclarent souverainistes, poursuivant parfois des objectifs distincts. Et pourtant, ils convergent : saper la construction européenne de l’intérieur.

En chef de file et chantre d’une prétendue Europe des peuples, « chrétienne et conservatrice », Viktor Orban rappelait ce week-end sur LCI la manière avec laquelle il avait célébré « à la vodka » la victoire de Donald Trump. Meilleur allié de Marine Le Pen, il mettra toutes ses forces dans la bataille afin d’assurer une victoire du RN en 2027, seul parti capable de faire imploser l’attelage européen, en l’un de ses centres.

À la tête du pays depuis 15 ans, Orban et sa formation le Fidesz ont commis peu de sorties de route. En délicatesse avec le Parti populaire européen (PPE), celui des droites européennes à Strasbourg, il est parvenu à organiser sa mue vers le groupe les Patriotes au Parlement sans devenir le paria continental qu’il risquait légitimement d’incarner. Multipliant les mesures de restriction des libertés, dans le débat public comme dans les réformes sociétales, il a joué au chat et à la souris avant d’être récemment rattrapé par la patrouille bruxelloise. Le gel partiel des fonds européens au nom du mécanisme de conditionnalité en cas de violation de l’État de droit a produit ses effets.

À moins d’un an des législatives à Budapest, Orban est confronté à une opposition démocratique et europhile, structurée autour de Peter Magyar. Qu’à cela ne tienne, Orban muscle encore sa démocrature avec la mise au point d’un « bureau de la protection et de la souveraineté », au périmètre volontairement flou, contenu dans le projet de loi de « transparence dans la sphère publique ». Quand tant et tant se rasent le matin en pensant à la prochaine présidentielle française, Orban ne rêve que d’implosion de l’UE qu’il résume par une formule, « soumission et déclin ».

C’est l’agenda du Rassemblement National et de la Ligue de Matteo Salvini, petit squadriste fascisant, déplorant l’attitude portée au compromis de Giorgia Meloni, actuelle Présidente du Conseil à Rome. Ce dernier apprécie ses discours sur la déliquescence civilisationnelle, son allégeance à bonne distance à Donald Trump sans froisser Ursula Von der Leyen et ses indispensables subsides pour l’Italie vieillissante, mais Salvini se damnerait pour sauver son ami Poutine.

À l’unisson d’Orban, indiquant qu’il aidera Le Pen à ne pas « dépenser de l’argent pour la guerre », l’autre axe de convergence se fixe comme objectif d’étrangler l’Ukraine. Dans cette bataille interne à l’extrême-droite européenne, celle réunie ce jour à l’occasion de la « fête de la victoire » est incontestablement la plus radicale dans son programme stratégique. Tandis qu’une partie des gouvernements nationaux-conservateurs cohabitent de raison avec les institutions européennes et la Commission, dans ce qui est devenu un pacte feutré de non-agression, le quarteron de Mormant-sur-Vernisson réunit les leaders les plus europhobes du continent : Santiago Abascal, admirateur de Franco et leader de Vox en Espagne, le Bardella belge Tom Van Grieken du Vlaams Belang ou le nationaliste tchèque Andrej Babis.

La presse française, bien imprudente à l’image de sa classe politique, veut y voir une opération de communication mettant en scène la romance sans accroc de la marraine Le Pen et de son filleul Bardella, avant l’actualité judiciaire agitée de la planète brune nationale. C’est une dimension, mais pas la plus lourde. L’on aurait tort de sous-estimer ce raout européen de ceux qui défendent l’implosion de l’Union européenne. Orban utilise la métaphore du Loiret pour y déplorer un lieu rural, paisible, dans lequel « les emplois ont disparu, remplacés par les migrants, la criminalité et la drogue ». Face à ce clin d’œil revendiqué au « grand remplacement », la gauche défilera à quelques kilomètres pour protester. Indispensable, à la condition de tenir un langage clair sur l’acquis européen, car c’est bien là le sujet principal.

Boris Enet