Misérables coups bas autour de Boualem Sansal
Alors que l’arrestation de l’écrivain devrait susciter une indignation unanime, l’extrême-gauche rase les murs et la droite en profite pour faire de la propagande.
L’arrestation à Alger de Boualem Sansal, écrivain connu et reconnu, lauréat de plusieurs prix littéraires en France, contempteur de l’islamisme et du régime algérien, devrait susciter une réaction unanime d’indignation, au nom d’un principe simple : la liberté d’expression doit être défendue partout et en tout lieu ; la mise au secret d’un écrivain pour des propos critiques est scandaleuse. Au lieu de ce réflexe élémentaire en démocratie, on voit le petit monde politico-littéraire céder à des oublis médiocres, ou se livrer à des opérations de basse polémique.
Des oublis ? On les observe à l’extrême-gauche, muette ou bien fort discrète dans sa réprobation, à l’exception d’Annie Ernaux, prix Nobel de littérature et engagée à la gauche de la gauche, signataire d’une pétition exigeant la libération de Sansal. Interrogé, Éric Coquerel, leader LFI, a bien critiqué l’arrestation mais pour le reste, la gauche radicale a laissé de côté toute radicalité dans cette affaire, pour se contenter d’un silence prudent ou de molles condamnations.
D’autres, tout en réprouvant cette lettre de cachet, ont longuement et lourdement mis en cause l’écrivain pour ses positions hostiles au régime algérien et sa critique acerbe de l’islam, donnant le sentiment de trouver toutes sortes d’excuses aux militaires allergiques à la liberté de parole. Ce fut le cas de deux invités de l’émission C’Politique, acharnés à détruire la réputation d’un homme enfermé, incapable de se défendre – et pour cause – comme s’il fallait absolument voler au secours d’un régime corrompu et autoritaire.
En pointe dans la dénonciation de l’intégrisme musulman, Boualem Sansal est soutenu avec ferveur par la droite intellectuelle et journalistique, ce qui est dans l’ordre des choses. On ne saurait s’en gendarmer : l’écrivain mérite de toutes manières tout le soutien possible, indépendamment de ses opinions, qu’elles soient ou non critiquables. Question de principe.
Mais les mêmes défenseurs de la liberté en profitent aussitôt pour dénoncer « la gauche » en général, coupable d’un « silence qui fait mal aux oreilles » (Le Point). Alors qu’en fait, « la gauche » – et non l’extrême-gauche – a elle aussi pris fait et cause clairement pour l’embastillé d’Alger. Dans le Monde, Libération et aussi l’Humanité, Sansal est présenté comme il se doit : un esprit libre, et un écrivain important, dont l’emprisonnement arbitraire heurte tous les principes du droit des gens. Les socialistes ont exigé sa libération sans ambages, par la voix de leurs dirigeants pour une fois unanimes.
Mais ce serait gênant de le reconnaître : la droite admettrait par ce biais qu’il existe en France une gauche démocratique qui ne se confond pas avec les outrances et les silences de la « radicalité » (une radicalité communautaire, en fait, qui cherche à amadouer les courants islamistes pour solidifier son socle électoral). Toujours la même tactique : la reductio ad melenchonum, qui amalgame systématiquement la gauche réformiste à la France insoumise, alors que leurs positions sont diamétralement opposées sur bien des points. Il est vrai que les arguments douteux de LFI sont plus faciles à combattre que les propositions rationnelles de la gauche réformiste. Ainsi va le débat politique en France, monopolisé par les deux extrêmes, dans un théâtre pernicieux et bien réglé.