Munich 2025

par Boris Enet |  publié le 14/02/2025

Douloureuse ironie de l’Histoire, le sort de l’Ukraine sera scellé par une rencontre formelle entre le président Zelensky et le secrétaire américain à la Défense, Pete Hegseth… à Munich.

Dessin de Bendak

L’Histoire n’aura pas traîné et les promesses auront été malheureusement tenues. Laurent Joffrin comme Pierre Benoît, ont souligné dans nos colonnes l’importance de la capitulation en cours comme le basculement stratégique à l’œuvre. Raphaël Glucksmann n’a de cesse d’expliquer avec pédagogie et force, les conséquences en chaîne d’un tel renoncement, d’une telle lâcheté. Il n’est pas encore temps d’évoquer les années 30 du XXIe siècle, mais celles du siècle dernier ne manquent pas de se rappeler à nous, tragiquement.

La constitution d’une organisation de sécurité collective n’en était encore qu’à ses débuts après l’enfantement calamiteux de la Société des Nations dans la foulée de la Première Guerre Mondiale. Elle avait néanmoins le mérite d’exister. En proie à la paralysie dès la fin des années 1920 devant la montée du fascisme et des nationalismes, elle fut paralysée puis piétinée dès 1933. Comparaison n’est pas raison, mais force est de constater que les Nations Unies ont perdu l’autorité morale et pratique acquise à la fin de la décennie 1990, dans un monde qui cherchait alors sa nouvelle gouvernance mondiale apaisée dans les décombres de la Guerre Froide. 

Pire, ce jeudi 13 février, le département américain du trésor, vient de sanctionner la Cour Pénale Internationale et son procureur britannique Karim Khan au motif « d’actions illégitimes et sans fondement » contre « l’Amérique » et son « proche allié Israël ». Voilà un point de convergence supplémentaire avec la dictature russe. 

Pour avoir émis un mandat d’arrêt fin 2024 contre Netanyahou et Gallant, ex-ministre de la Défense, dans la conduite de la guerre à Gaza, consécutive au massacre du 7 octobre, la CPI est abaissée au rang d’une quelconque nébuleuse terroriste par la nouvelle puissance impériale. Gel des avoirs sur le sol américain pour les membres de la CPI, mais également par voie d’extension à celles et ceux qui ont œuvré aux enquêtes diligentées, interdiction de poser le pied sur le sol américain ainsi qu’à leurs familles : voilà quelques-unes des mesures de rétorsion et d’humiliation de la part du chef mondial du nationalisme grégaire.

Trump finit toujours ce qu’il a commencé, du moins le souhaite-t-il, et il a la rancune tenace. Non signataire du statut de Rome, réunissant aujourd’hui près de 124 États membres, il s’en était déjà pris à Fatou Bensouda, ancienne procureure de la CPI du temps de son premier mandat. Il est en situation de parachever son œuvre et de s’adonner à son hobby préféré : la signature de décrets. 

Dans ce climat délétère et hautement périlleux, qui seront les Neville Chamberlain et Édouard Daladier d’octobre 1938, prêts à détourner le regard en présence du diable ? En vérité, le bal des prétendants est garni. Meloni comme Orban font déjà actes de candidature, davantage par conviction idéologique que par lâcheté. Zelenski ressemble déjà à Emil Hacha, président tchèque d’une démocratie alliée et pourtant sacrifiée sur l’autel d’un pacifisme bêlant synonyme de catastrophe. 

L’Histoire n’est pourtant jamais un éternel recommencement. La Présidente de la Commission comme la vice-Présidente prennent leurs distances. L’interview du chef de l’État au Times est également un point d’appui. Le camp de la résilience démocratique est capable de s’imposer en prenant le contre-pied de Trump dans tous les forums internationaux. L’Union Européenne le peut et le doit, faute de quoi elle prendrait le risque de la division qui peut la conduire à l’éclatement. Oui, l’Ukraine est partie intégrante de l’UE, mieux vaut le dire plutôt que de quémander un strapontin dans une négociation qui n’en sera pas une. 

Ne pas se laisser impressionner par cet esprit munichois qui néglige les réalités factuelles et se convaincre qu’on ne dessine pas une nouvelle ère impériale avec une puissance disposant de 20% du PIB mondial. Quant à ceux tentés par la collaboration, puissent-ils se remémorer la sentence de Daladier, atterrissant sur le tarmac du Bourget, à son retour de Munich : « Ah les cons ! S’ils savaient »

Boris Enet