Narcotrafic : l’erreur de la gauche
L’opposition de gauche s’évertue à vider la loi sur le narcotrafic de sa substance. Elle ne semble pas avoir bien compris l’ampleur de la menace que les mafias font peser sur la démocratie française.

Débat désespérément traditionnel à l’Assemblée, sur la loi destinée à enrayer la progression du narcotrafic en France. La droite et le centre soutiennent la proposition, la gauche le rejette. Parlons clair : cette discussion vintage n’est pas à la hauteur de la situation.
À l’origine de la réforme, on trouve un rapport très complet et très inquiétant produit par deux sénateurs, l’un de droite et l’autre de gauche. On y constate que le trafic touche désormais tout le territoire, y compris des villes ou des villages jusque-là exempts de toute délinquance organisée, que les règlements de compte, les assassinats, les actes de torture et de barbarie perpétrés par les trafiquants se multiplient, ainsi que les morts de personnes étrangères au trafic succombant à des balles perdues. On y apprend aussi que dans certains quartiers, les mafieux tiennent les habitants sous leur férule, instaurant par la violence un pouvoir de fait hors des lois républicaines. On y démontre surtout que la puissance financière accumulée par des chefs mafieux vivant souvent à l’étranger leur permet faire assassiner par des tueurs stipendiés à peu près qui bon leur semble et de commencer à corrompre, grâce à un mélange de menaces et de pots-de-vin les fonctionnaires publics des douanes, de la police et de la magistrature.
On connaît ce processus : il arrive un moment où les fortunes constituées par les gangs les constituent en petits états dans l’État qui organisent leur impunité et défient avec succès la puissance publique, à l’image de ce qui s’est passé en Italie ou en Amérique latine. D’où la loi élaborée par les parlementaires, qui vise à affronter cette situation exceptionnellement grave. Création d’un parquet national, renforcement des moyens d’enquête, isolement des mafieux emprisonnés, amélioration des moyens de surveillance, dispositions sur les « repentis » : tels sont les principales dispositions prévues par le texte.
Aussitôt une opposition se lève à l’Assemblée pour contester ces dispositions, qu’on rejette pour leur caractère « liberticide ». Pourquoi pas ? La vigilance sur les libertés publiques est légitime. Il est possible que certaines mesures soient effectivement aux limites des principes généraux du droit. Mais la gauche a grand tort de s’en tenir là : globalement, la démarche des parlementaires est parfaitement justifiée par l’urgence de la situation. Elle s’inspire, entre autres, du dispositif antimafia mis en place avec succès en Italie depuis plusieurs années.
Souvent, les critiques formulées négligent de préciser le but recherché. On rejette ainsi les mesures d’isolement prévues à l’encontre des chefs mafieux. Mais elles ont pour but d’empêcher des parrains impitoyables de continuer à diriger leurs organisations du sein même de leur prison. On peut les amender sur un ou deux points litigieux. Mais elles sont globalement utiles et légitimes. On critique la possibilité pour la puissance publique d’accéder aux communications secrètes des messageries cryptées, au nom de la défense de la vie privée. Mais il s’agit, en l’occurrence, de surprendre les conversations qui aboutissent à des assassinats, ou bien à des opérations de corruption de grande envergure dans les ports ou dans les villes, chose précieuse aux enquêteurs.
On dénonce l’idée de dissimuler aux mafieux et à leurs avocats certains aspects des enquêtes menées contre eux, ce qui peut se comprendre. Mais on oublie de dire que cette disposition a pour but, non de handicaper la défense, qui garde toutes ses prérogatives, mais de ne pas renseigner les criminels sur les moyens qui ont permis leur arrestation, ce qui les conduirait évidemment à prendre de nouvelles précautions pour déjouer à l’avenir le travail de la police.
Tel est en effet le véritable débat : la gauche doit comprendre qu’il faut rapidement renforcer les moyens des juges et des policiers, sans quoi la gangrène de la corruption et du chantage sur les fonctionnaires publics risque de devenir inarrêtable. L’opposition peut amender le projet sur certains points, mais certainement pas ruiner l’architecture générale du texte, dont l’urgence saute aux yeux de quiconque se penche sur le dossier.