Netanyahou ouvre un nouveau front

par Pierre Benoit |  publié le 04/05/2025

En bombardant le territoire syrien, le premier ministre israélien assure qu’il vient au secours de la communauté druze. Mais ses objectifs sont à coup sûr plus ambitieux.

De la fumée s'élève près d'un hôpital militaire à Harasta, au nord-est de Damas, après les frappes aériennes israéliennes menées en Syrie dans la nuit du 3 mai 2025. (Photo d'Anagha Subhash Nair / Middle East Images via AFP)

Après une semaine de frappes sporadiques dans le sud-syrien, la chasse israélienne a lourdement bombardé des sites militaires dans la nuit de vendredi à samedi. L’Observatoire syrien des droits de l’homme a dénombré une vingtaine d’attaques dans la région de Lattaquié, Hama, Deraa, à la périphérie de Damas.

Les opérations aériennes n’ont jamais cessé depuis la chute du régime Assad et Israël a élargi la zone tampon créée à partir du Golan annexé en 1981. Jérusalem n’a pas vu d’un bon œil l’arrivée au pouvoir d’une coalition conduite par d’anciens djihadistes. La nouveauté, c’est l’explication invoquée pour justifier ces frappes : les Israéliens affirment se porter garants de la communauté druze de Syrie.

Au début de la semaine, un simple message audio attribué à un druze a servi d’étincelle. Ces quelques mots mal identifiés ont été jugés blasphématoires par les milices sunnites radicales proches du nouveau régime. Il n’en fallait pas plus pour que le scénario de mars contre les alaouites se répète, cette fois contre la communauté druze qui compte quelques 600.000 personnes. Des affrontements ont eu lieu dans des quartiers à majorité druze proches de Damas et dans des villages du sud. On parle d’une centaine de morts. Preuve est faite, une nouvelle fois, que le président Al-Charaa ne contrôle toujours pas certaines milices qui l’ont aidé à prendre le pouvoir.

En mars dernier déjà, la communauté alaouite avait été la cible de sanglantes représailles après une embuscade montée par des partisans de l’ancien régime. Des milices sunnites ont déclenché une vague de terreur qui a coûté la vie à quelques 1700 personnes appartenant à la communauté qui soutenait le régime de la famille Assad.

A l’époque, le président intérimaire Al-Charaa avait lancé un appel à l’unité pour réussir une transition vers la démocratie. Dans le patchwork religieux de la société syrienne, cet épisode a réveillé des peurs anciennes parmi d’autres communautés minoritaires comme les druzes ou les kurdes.

Vendredi matin plusieurs obus ont éclaté tout près du palais présidentiel, au cœur de la capitale syrienne. « C’est un message clair envoyé au régime syrien. Nous ne permettrons pas que des forces soient dépêchées au sud de Damas ou menacent de quelque manière que ce soit la communauté druze ». Le communiqué de Netanyahou a suivi de très peu la frappe proche de la résidence du président intérimaire Al-Charaa.

En trois lignes, le premier ministre israélien vient d’ouvrir un nouveau front dans la guerre tous azimuts qu’il livre en étouffant Gaza avec son blocus alimentaire et en maintenant des forces au sud du Liban comme sur le plateau du Golan.

On aura du mal à croire en effet que le sort des 600.000 druzes – soit 3% de la population syrienne – mobilise à ce point l’intérêt des Israéliens. On n’imagine pas davantage qu’il puisse s’inquiéter d’éventuelles réactions de solidarité de la part des quelques 120.000 druzes ayant la nationalité israélienne.

Partisan de la politique du pire, ayant connaissance des derniers rapports du Mossad, Netanyahou connait très bien les difficultés actuelles du numéro un syrien. Ahmed Al-Charaa est parvenu à trouver un accord avec les kurdes qui ont accepté de rejoindre le nouveau régime tout en gardant leur autonomie administrative dans le nord du pays.

Le nouveau président n’a pu aller aussi loin avec les druzes, farouche communauté de guerriers ayant réussi à sauvegarder une relative autonomie, même sous la dictature d’Assad. Aujourd’hui les druzes syriens, issue d’une branche de l’islam chiite, restent méfiants vis-à-vis du nouveau pouvoir sunnite. Certes, plusieurs centaines de combattants ont rejoint les forces du nouveau ministère de la Défense. Mais les druzes ont aussi gardé deux milices importantes « le mouvement de la dignité » et « la Brigade de la montagne ».

L’offre de service non sollicitée de Netanyahou envers les druzes montre sa volonté de chercher des alliés locaux pour la suite. En élargissant la zone tampon sur le Golan, puis en positionnant une division blindée, l’état hébreu tient en respect Damas, à moins de 400 km. Autrement dit, le premier ministre israélien ne s’ingère pas seulement dans les affaires syriennes. Il vient de faire un pas stratégique vers un conflit régional.

Pierre Benoit