Nicole Belloubet sonne l’alarme
Critique à l’égard de Gabriel Attal, son message a-t-il seulement été entendu ?
Ministère régalien par excellence, l’éducation nationale s’apprête à faire rentrer ses 11 914 700 élèves scolarisés en même temps que ses 851 600 enseignants dans 58 470 écoles et établissements du second degré. Une prouesse annuellement renouvelée malgré une école et des agents habités par le doute quand ce n’est pas le découragement. Ancienne rectrice, l’actuelle ministre de l’éducation à l’heure où ces lignes sont écrites, connait les rouages de la vielle maison et n’ignore rien de la gronde des chefs d’établissements ou de la grogne des enseignants. `
Elle a donc pris soin de leur envoyer des signaux faibles, mais répétés que ce soit sur le choc des savoirs – amendé -, l’ajournement de la réforme du brevet pour passer en seconde ou encore l’entrée en application des nouveaux programmes, eux aussi repoussés. Cela ne fait pas nécessairement une orientation d’autant plus si c’est à moyens constants, ce qui équivaut à une perte sèche de 10 milliards d’euros due à l’inflation pour le premier budget de l’État.
Pourtant, parmi les priorités revendiquées, l’insistance sur la mixité sociale, la contribution des écoles privées dans celle-ci invoquant le code de l’éducation, la lutte contre les assignations géographique, culturelle, sociale sont des intuitions autrement plus sérieuses que l’expérimentation rétrograde de l’uniforme à l’école qu’elle a soigneusement évité. Encore faut-il en convaincre des équipages fatigués par le flux et reflux des réformes sans lendemain. Or, comment mettre en musique ces généreux slogans avec une telle instabilité ministérielle depuis un an ? Comment abonder dans cette direction alors que la réforme des « groupes de besoin » au collège a soulevé un tel tollé ?
Madame Belloubet peut jouer sa propre partition en anticipant les scénarii, les personnels qui servent dans son ministère n’en ont probablement cure. Loyaux et attachés à l’éducation, ils feront le « job » quitte à bougonner. Non pas qu’ils ne pensent pas, mais plutôt qu’ils n’attendent plus grand-chose. Cette distanciation entre la direction du ministère et ses serviteurs est une leçon de choses. Elle s’inscrit dans le sillon d’une décennie gâchée pour l’école, si l’on excepte les mesures tangibles de dédoublement des petites classes au primaire, le renforcement de la lutte contre le harcèlement et la prise de conscience des enjeux de sécurité.
Un sentiment diffus de mépris, de buzz médiatique au détriment d’un temps long consubstantiel aux apprentissages et d’esquives sur les sujets les plus brûlants a consommé le divorce entre la rue de Grenelle et ceux qui la servent. Le choc d’attractivité des professions de l’éducation, longtemps attendu, n’est jamais venu. La ministre a donc fait avec ce qu’on lui a octroyé. Au moment même de tirer le rideau, elle semble le suggérer lorsqu’elle réclame la sanctuarisation du budget « a minima ».
Une ambition en berne alors que l’éducation, mère de toutes les batailles, rappelle quotidiennement le péril démocratique et culturel qu’elle recouvre en cas d’échec. Mais sans une détermination politique et républicaine sans failles jusqu’à en faire une grande cause nationale, l’éducation est malheureusement condamnée au ronronnement crépusculaire.