Non-assistance à jeunesse en danger

par Boris Enet |  publié le 20/12/2024

« J’avais 20 ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie ». Cette sentence tirée d’Aden Arabie, roman de Paul Nizan, résonne douloureusement pour une jeunesse dont tous les indicateurs sont au rouge. La responsabilité collective, politique et morale, commande de ne plus détourner le regard et d’agir.

Un artiste découpe le mot « jeunesse » à la tronçonneuse lors d'une manifestation à Nantes, le 19 décembre 2024, pour protester contre les coupes drastiques dans la culture et le sport annoncées par le président de la région Pays de la Loire. (Photo de Sébastien Salom-Gomis / AFP)

La santé mentale de notre jeunesse est au plus mal. Le diagnostic ne souffre d’aucune ambiguïté, quelles que soient les tranches d’âges. 56% des moins de 25 ans sont en « état de détresse psychique » pour l’OMS. Le suicide, troisième cause de mortalité pour la tranche 15/29 ans est à corréler avec l’augmentation des tentatives de suicides de 30% chez les 11/17 ans selon une étude pilotée par Santé Publique France. 

Harcèlement, adolescence douloureuse, précarité, crise familiale, et désormais éco anxiété, sont autant de paramètres à prendre en compte pour appréhender une telle épidémie de mal-être. Probablement faudrait-il y ajouter l’addiction aux écrans et aux réseaux sociaux abêtissants. Mais il y a pire dans ce sombre panorama. Au lendemain de la crise sanitaire de la Covid, le chef de l’État avait commandé une étude nationale sur le bien-être des enfants (Enabee) devant la résurgence des consultations psychiatriques. Cette étude, réalisée en 2022 auprès de 15 000 enfants, autant d’enseignants et près de 10 000 parents, révèle que 13% des enfants âgés de 3 à 11 ans sont atteints de troubles mentaux de différentes gravités. Deux ans après, la situation ne s’améliore pas.

Comprenons bien. Si l’on considère qu’une classe d’âge avoisine peu ou prou les 700 000 enfants sur une année, cela signifie que 91 000 enfants terminent leur première décennie d’existence avec des troubles mentaux. Sans même ajouter ceux qui ne sont pas repérés. Quelle société pourrait tolérer un tel aveu d’échec, sans être traversée par les guerres et pandémies ? De quels remèdes se dote la société pour y faire face à commencer par les ministères qui en ont la charge ?

Dans les classes, les troubles de l’attention, les phobies scolaires, et drames du quotidien culminent comme une génération faussement spontanée. Les accompagnants d’élèves en situation de handicap (Aesh) ont été multipliés par cinq en 20 ans, sans donner satisfaction, ni en termes de suivi, ni en termes de régulation du phénomène. Les Instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (Itep) cumulent les listes d’attentes aussi longues que les palabres pour constituer un gouvernement. L’éducation nationale, au nom d’une inclusion juste, mais sans moyen adéquat, inclut toujours plus et toujours plus mal des enfants dont une partie nécessitent une prise en charge autrement plus conséquente et spécialisée. Enfin, les foyers de l’ASE (Aide sociale à l’enfance) sont devenus des lieux de maltraitance institutionnelle dans lesquels les brimades, humiliations et agressions de toutes sortes sont légions sur des enfants déjà en souffrance psychique et familiale. Et l’on s’étonnerait que le personnel enseignant soit lui aussi en souffrance ?

Tous ceux qui sont au chevet de l’éducation le savent. Tous en font la cruelle et douloureuse expérience dans un silence étatique authentiquement criminel. Qui ne redouterait pas les conséquences d’un tel concentré de souffrances humaines à court ou moyen terme ? Comment se satisfaire d’une telle situation, empirant sans cesse, parallèlement à un niveau des savoirs parfois indigent ? Le constat est connu, les études documentées. Il ne suffit plus de les lire ou de les commenter, ni même d’y remédier formellement par des numéros verts dédiés. Cet état de fait doit déboucher sur une prise de conscience collective et sociale de grande ampleur avec une impulsion étatique capable de prendre des mesures, quel qu’en soit le gouvernement. Il faut désormais agir. 

La nation a été capable de protéger ses anciens durant la pandémie, elle doit être en mesure de se mobiliser pour sa jeunesse à commencer par mettre aux commandes du Ministère de l’Education Nationale, des personnes déterminées et compétentes, prêtes à mobiliser le pays au-delà de leur pré carré. Notre jeunesse se meurt devant l’immobilisme des gouvernants.

Boris Enet