Retraite : la fin des 64 ans ?

par Valérie Lecasble |  publié le 09/01/2025

François Bayrou ayant décidé de jouer la carte socialiste plutôt que celle du RN pour éviter la censure, l’accord paraît proche sur les trois points clés mis sur la table des négociations : retraites, justice fiscale et non-suppression des postes d’enseignants.

Francois Bayrou (le 3 janvier. Photo Bertrand GUAY / AFP) • Eric Lombard (le 8 janvier. Photo Eric Beracassat / Hans Lucas via AFP) • Olivier Faure (le 19 décembre. Photo Julien DE ROSA / AFP)

Ils se sont étripés tout l’automne, puis ils ont rangé leurs couteaux au vestiaire. Le 4 décembre, dans la foulée de leur vote de la censure pour faire tomber le gouvernement de Michel Barnier, ils ont constitué en symbole de réconciliation une boucle what’s app constituée des dirigeants des courants de l’ensemble de leur parti, majoritaire et minoritaires. Depuis, ils œuvrent ensemble à trouver la solution qui permettra à la France d’éviter de passer d’une crise politique à une crise de régime.

Ainsi vont les socialistes. Les ennemis d’hier sont devenus les amis de demain puisque le sort du pays est en jeu. Leur premier secrétaire Olivier Faure aime à le répéter : désormais il agit en « responsabilité ». Il aura fallu que la France soit au pied du mur pour en arriver là. Un gouvernement renversé par une motion de censure, on n’avait pas vu cela sous la Vème République. Une année 2025 qui démarre sans que le budget n’ait été voté, c’était sans précédent. Deux partis extrêmes, LFI et le RN qui réclament pour des raisons différentes la démission du Président de la République, c’est le risque du chaos. Alors, les socialistes ont serré les rangs, convaincus désormais de l’importance de rester soudés et d’attirer à eux dans toute la mesure du possible leurs alliés de la gauche plurielle, les écologistes et les communistes, pour sauver la stabilité politique du pays.

Avec François Bayrou, les discussions avaient été mal entamées, le courant ne passait pas. « On ne comprend rien de ce qu’il nous dit, il ne nous écoute pas », entendait-on alors chez les dirigeants socialistes. Jusqu’à craindre avant les fêtes d’en arriver au blocage malgré eux, qui n’excluaient pas alors une seconde motion de censure lors du vote du budget.

Mais quand, à la veille de Noël, la composition du gouvernement est enfin connue, une pièce maîtresse apparaît, celle de la nomination à la tête de Bercy, d’Éric Lombard, qui a une vraie sensibilité de gauche, sans pour autant avoir été un homme politique. Il réunit donc la double qualité de les comprendre sans les avoir trahis pour avoir accepté de participer à un gouvernement de droite. La possibilité d’un chemin s’ouvre quand Olivier Faure dit d’Éric Lombard qu’il est un « ami ». Les vraies négociations peuvent commencer.

Avec deux atouts : François Bayrou décide que c’est auprès de la gauche et non du Rassemblement National comme l’avait hasardeusement tenté Michel Barnier, qu’il va chercher un accord de non-censure sur le budget ; et proche de Laurent Berger, Éric Lombard a un vrai sens du dialogue.

Décidée à ne pas passer pour supplétive d’Emmanuel Macron, la gauche a besoin de victoires politiques. Elle pose trois sujets sur la table : les retraites, la justice fiscale et les dépenses. A la veille du discours de politique générale de François Bayrou le 14 janvier, le but est proche.

La « suspension » de la réforme des retraites qu’exigeait la gauche avant les fêtes a été mise en sourdine. Elle se limiterait désormais à suspendre le report immédiat du départ à la retraite de ceux qui sont impactés par le calendrier de l’âge légal à 64 ans. En clair, ceux à qui la réforme impose aujourd’hui le recul de quelques mois de leur départ à la retraite pourraient la prendre quand même. Ce ne serait pas la réforme mais sa mise en application qui serait suspendue. Ensuite, toutes les injustices de la réforme Macron, que François Bayrou avait en son temps combattues, seraient gommées, en particulier celles portant sur la pénibilité et sur les femmes.

Mais l’essentiel est ailleurs, comme l’a lâché François Bayrou en disant à Marylise Léon qu’il n’y avait « aucun tabou » sur les 64 ans : à terme, la notion d’âge légal serait supprimée au profit exclusif de celle du nombre des années travaillées. Et pourquoi pas via la retraite à points qu’affectionne depuis longtemps François Bayrou ? « Il faut sortir de ce débat lamentable sur l’âge de la retraite », insiste un expert. Les patrons pourraient même en profiter pour pousser leur idée d’une capitalisation complémentaire au système français de redistribution, à condition qu’elle soit gérée de la même manière que la retraite complémentaire actuelle (Agirc-Arrco), c’est-à-dire de façon paritaire.

Le paradoxe serait alors que le blocage du pays pourrait, si tout se déroulait comme prévu, aboutir à une véritable réforme des retraites avec dans un premier temps le rafistolage nécessaire, suivi ensuite d’une remise à plat globale du système, ce qui donnerait une perspective jusqu’en 2027.

La vision éclaircie sur le sujet clé des retraites, les deux autres points pour éviter la discorde sont plus aisés à résoudre. La justice fiscale qui consiste à taxer davantage les plus riches et les plus grosses entreprises était déjà contenue dans la copie de Michel Barnier. Reste à régler le sujet de la flat tax qui pourrait être augmentée jusqu’à 35%, la moyenne européenne évoquée publiquement par Éric Lombard. Le dernier point est l’irritant que constitue pour la gauche la suppression envisagée de 4 000 postes dans l’Éducation Nationale. Elisabeth Borne s’attelle à y remédier.

Et le budget dans tout cela ? Éric Lombard – convaincu comme Emmanuel Macron des vertus de la politique de l’offre -, ayant promis de ne pas augmenter les impôts au-delà de ce qu’avait déjà prévu Michel Barnier, comment tailler dans les dépenses pour réduire à 5,4% le déficit en 2025 ? A coups de rabot, avec des mesures techniques de boutiquier, à savoir par exemple l’annulation de la hausse des dépenses prévues en 2025 déjà obtenue grâce à la loi spéciale de reconduction du budget de 2024 ; grâce aussi à la diminution des réserves de précaution. Une stratégie dangereuse cette politique du rabot qui entraînerait la France à l’envol de son déficit budgétaire ? Voire. Car le pire des poisons pour l’économie française est l’instabilité politique qui enraye la machine et provoque l’arrêt du pays.

La perspective qu’a tracée pendant les fêtes François Hollande – un gouvernement Bayrou capable de diriger la France jusqu’à la présidentielle de 2027 – pourrait être le meilleur remède à la crise politique et économique provoquée par la désastreuse dissolution du 9 juin.
Éviter des élections législatives en juin prochain libérerait en outre le Parti socialiste de l’épée de Damoclès LFI, qui lui a de toute façon déjà déclaré la guerre pour les élections municipales de 2026 sans aucune possibilité de négocier.

Pour la première fois depuis des mois, l’horizon de la France est à l’éclaircie. Reste à connaître la réaction d’Emmanuel Macron, jusqu’à présent silencieux. Espérons qu’il ne s’y opposera pas.

Valérie Lecasble

Editorialiste politique