Notre 20 janvier n’est pas le 30 janvier 1933
Les images du début de semaine et la teneur des discours à Washington ont objectivement de quoi effrayer. Le 20 janvier est un accélérateur de la déferlante réactionnaire et de son cortège de conséquences pas forcément toutes prévisibles. Mais nous sommes condamnés à espérer.

Valérie Lecasble évoquait dans nos colonnes le courageux discours de l’évêque Mariann Budde et sa probable résonnance dans des pans entiers de la société américaine, autant pour des motifs religieux qu’historiques. Mais déjà le pape François évoquait une « calamité » à propos du programme de « déportation » des immigrés latino notamment des enfants, rappelant l’incompatibilité terme à terme entre le programme de Trump et celui de l’Evangile, quoi qu’il en dise. Ce n’est pas secondaire et c’est ce qui nous distingue de la situation du pasteur Martin Niemöller luttant contre l’indifférence et la complaisance à l’égard des agissements nazis : « Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste (…) quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester. »
A cette heure, les États-Unis demeurent une démocratie, parfois cocasse et un État de droit séparant les pouvoirs. Ils constituent une pierre d’achoppement pour la contre-révolution réactionnaire. Le droit du sol fait partie de la constitution américaine par le biais de son 14e amendement, adopté au lendemain de la guerre de sécession et principalement destiné aux anciens esclaves du Sud.
D’ores et déjà 22 États déposent plainte contre ce décret, dont la Californie et l’État de New York, tandis qu’une seconde plainte, déposée par 18 États sera étudiée par le tribunal fédéral du Massachussetts. Quelle en sera l’issue et quel sera le degré de résistance de la population, des comtés et des États hostiles pour y faire face ? L’application du décret présidentiel, 30 jours après signature, permet au pouvoir judiciaire de fait valoir ses droits. Le calendrier trumpiste peut être facilement ajourné et déclencher l’ire d’un homme dont la maîtrise n’est pas la qualité première. Et puis, rien n’interdit de penser que le nouvel « âge d’or » soit plus complexe que la dialectique MAGA.
Trump, comme Milei, tronçonneuse à la main et brutalités verbales semblables, mise sur l’effet de surprise pour renverser la table et obtenir des résultats. Sauf que le degré d’intégration de l’économie argentine n’est pas celui des États-Unis. La hausse spectaculaire des droits de douane à 25% le 1erfévrier prochain – notamment pour le Canada et le Mexique – impliquera des représailles. La menace pour Ottawa est sérieuse – 3/4 des exportations vers les États-Unis dans le cadre d’une ALENA désormais moribonde – mais une telle folie protectionniste entraînera mécaniquement une contraction du PIB mesurée à 1,6% et une diminution moyenne des revenus. Si les secteurs les plus lucratifs du Nasdaq n’en pâtiront guère, pas certain que les gilets jaunes du Midwest apprécient en cas d’enlisement.
Le Mexique, par la voie de sa présidente Claudia Sheinbaum, comme l’Union Européenne, adoptent un ton policé et une volonté conciliatrice avec la nouvelle administration. Sans doute à tort. Mais le Mexique, en première ligne, ne détient pas la même force de frappe que les Européens, pourvu qu’ils le veuillent et s’en donnent les moyens. Indispensable partenaire commercial des États-Unis, l’Union Européenne le reste par le nombre de consommateurs, mais également par le niveau des revenus disponibles pour les joujoux de M. Musk et ses comparses. Si les tergiversations inquiètent à juste titre de ce côté de l’Atlantique, la partie n’est pas encore perdue malgré les incertitudes politiques qui pèsent de part et d’autre de l’axe rhénan et le cheval de Troie italien.
Reste Trump lui-même. Irascible, imprévisible, Trump peut trébucher seul ou provoquer la créature qu’il a renforcé en la personne de Elon Musk. A la manière de Frankenstein, il pourrait aussi perdre la partie devant le monstre qu’il a nourri. Rien de plus rassurant, il est vrai. Mais il n’est pas encore minuit dans le siècle.