Nous sommes aussi Boualem

par Boris Enet |  publié le 08/01/2025

Le climat délétère entre la France et l’Algérie confine à l’asile d’aliénés. Les rétrogrades des deux pays se drapent dans des postures indignes pour de vils intérêts politiques ou stratégiques. La gauche populiste, les relais du régime policier d’Alger et les nationalistes hexagonaux tiennent les premiers rôles.

Boualem Sansal, écrivain algérien d'expression française, au Festival du Livre de Nice, le 1er juin 2024. (Photo d'Eric Dervaux / Hans Lucas via AFP)

Il y a d’abord l’épineuse question de la libération de Boualem Sansal, détenu dans les geôles d’un pouvoir autocratique indigne. Voilà plus de 50 jours que l’écrivain franco-algérien de 2084 : la fin du monde, d’une santé fragile, fait les frais d’un nationalisme rabougri que le président Tebboune incarne à merveille. Sansal paie l’addition pour sa liberté, pour le Goncourt décerné à Kamel Daoud et la vexation identitaire à propos du Sahara occidental, objet de toutes les surenchères. Dans une posture aussi mécanique qu’éculée, Tebboune se calfeutre derrière les assauts fantasmés de l’ancienne métropole coloniale pour servir les intérêts d’une bureaucratie gazière à bout de souffle. 

Pourtant, à l’heure de commémorer Charlie, nous n’assistons pas au front uni des gauches, des intellectuels et des milieux littéraires. Car la gauche populiste se distingue à nouveau. Elle convoque le procès politique de Boualem Sansal afin qu’il réponde de ses écrits, le jugeant par contumace à l’oubli. Comme la France Insoumise a détourné l’esprit de Charlie pour de piètres calculs électoraux, elle troque la défense des libertés en fonction du contenu et de la pensée d’un homme. C’est le premier mouvement de cette tragédie.

La seconde levée de rideau se présente dans une campagne soigneusement orchestrée par les réseaux d’influence algériens à destination de sa diaspora. On ne compte plus les messages haineux consistant à défendre – tel un seul homme – la patrie en danger. Menaces de viols, de tortures, promesses d’égorgements et autres joyeusetés sont promises à quiconque contredirait les sentences du raïs d’Alger, désormais ami de Poutine. 

Ces « influenceurs », à la manière des madrasa coraniques, répètent une structure de texte voisine, si ce n’est identique, dans des vidéos virales, convoquant Allah pour les besoins de la cause. Dans cette séquence, les pouvoirs publics sont à la hauteur, comme à Brest, Lyon ou encore Montpellier. Les édiles, en parfaite adéquation avec les services de l’État, dont les préfectures, engagent l’article 40 du code pénal auprès de l’autorité judiciaire, tandis que le chef de l’État confirme l’exigence de libération de l’écrivain embastillé. Mais c’en est trop pour Alger, considérant « l’immixtion éhontée et inacceptable » pour un État souverain dont la loi est supérieure aux libertés universelles et droits inaliénables de l’Homme. CQFD.

Le dernier acte consiste en la petite récupération politique par le milieu nationaliste hexagonal pour qui la déchirure algérienne est à l’origine de sa reconstitution, 15 ans après la libération. Le RN et la galaxie populiste de droite utilisent la surenchère d’Alger et les principes à géométrie variable d’une partie de la gauche pour les libertés, pour orchestrer à son tour une campagne nationaliste et raciste afin de dénoncer la faiblesse de l’État et stigmatiser l’immigration algérienne. Pour les éditorialistes de Valeurs Actuelles à Reconquête, l’occasion est trop belle – à l’heure de l’oraison funèbre du fondateur du FN – pour rappeler la supposée dangerosité de l’immigration algérienne vivant en France.

L’impression est celle d’un retour au point d’origine pour enfin établir des ponts entre Paris et Alger, loin des efforts déployés par l’historien Benjamin Stora ou des gestes authentiques et bienvenus d’Emmanuel Macron après François Hollande pour la vérité historique. Sur fond de querelles stratégiques en Méditerranée et de rapprochement avec la monarchie chérifienne, un esprit libre trinque, abandonné en rase campagne par les imposteurs d’une tradition pourtant séculaire à gauche – si l’on excepte les heures du stalinisme triomphant. Les petites mains de la raison d’État prennent le relais pour exalter la violence, la bêtise et la haine qui ne demande qu’à être partagées par les héritiers politiques de l’OAS, sur l’autre rive. Voilà une nouvelle démonstration de l’utilisation du venin nationaliste et de la lâcheté ordinaire dès qu’il s’agit de défendre l’essentiel : la liberté sans entrave.

Boris Enet