Numérique : l’Europe a les moyens de résister !
Face à l’allégeance de la tech américaine à Donald Trump, la fragmentation de l’Union Européenne est le premier ennemi de sa souveraineté.
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La trumpisation des réseaux sociaux, déjà décrite dans ces colonnes, va-t-elle enfin réveiller l’Europe numérique ? On pourrait l’espérer. Même si l’Europe s’est laissée glisser dans la dépendance aux plateformes américaines, elle ne part pas d’une page blanche, comme le montre le nombre de licornes (ces ex-start-up dont la valorisation dépasse le milliard de dollars) qui ont émergé de notre côté de l’Atlantique. Alors que l’an dernier, les États-Unis en comptaient plus de 700 et la Chine un peu moins de 300, l’Allemagne en hébergeait une quarantaine et la France une trentaine, selon le site Statista. On pourrait ajouter la Grande Bretagne, qui en revendiquait une soixantaine aux confins de l’Union.
Chaque pays pris à part, c’est peu. Mais fédérée, l’Europe ferait presque jeu égal avec la Chine. Elle est à la traîne comparée aux États-Unis, mais loin d’être démunie, surtout si on considère que bon nombre des licornes américaines ont été fondées par des Européens qui ont quitté le Vieux Continent pour pouvoir disposer de meilleures conditions d’épanouissement. L’enjeu consiste surtout à les dissuader de s’exiler.
Depuis plus d’un demi-siècle, la guerre économique fait rage et s’intensifie. Elle est l’expression d’une concurrence qui n’aspire qu’à repousser ses limites. L’affrontement s’est étendu au numérique, sans que l’Europe cherche à répliquer, ses membres comptant chacun obtenir des compensations. Mais les hostilités se dévoilent et les GAFAM prêtent allégeance au président du « America first ».
La bataille est-elle perdue ? L’exemple d’Airbus qui fait dorénavant jeu égal avec Boeing montre le contraire. Quelle doit être le mode opératoire ? La coopération, bien sûr. Elle avait tenu bon face aux coups de butoir du géant de l’aéronautique. Et voilà ce que craignent les adversaires, qui par ailleurs ne peuvent pas se passer de l’Europe.
Un défi pour les gouvernements de l’Union Européenne
Tout progrès implique un remède à la fragmentation de l’UE. Or, ses concurrents entretiennent les divisions pour mieux la vassaliser. En agitant la menace de surtaxes sur des produits phares comme l’automobile, si importante pour l’Allemagne, ou en négociant au cas par cas comme avec l’Italie, les États-Unis veulent empêcher la constitution d’un front uni alors que la future administration Trump ne fait pas mystère de ses projets protectionnistes. Soulignons que la Chine non plus n’est pas avare de pressions pour empêcher le développement de technologies européennes qui concurrenceraient ses productions.
L’adoption par l’Union de mesures de régulation en 2023 ne suffira pas à assurer sa souveraineté sur le numérique. C’est notamment le sens du rapport de Mario Draghi, ex-président de la BCE. Pour que l’Europe comble son retard technologique, il préconise, entre autres, de doubler le budget du programme-cadre de recherche pour atteindre 200 milliards d’euros sur sept ans. Contre la fragmentation, il souligne la nécessité de progresser vers une harmonisation juridique en créant un statut d’entreprise européenne innovante, et d’harmoniser les modes de financement pour intéresser les investisseurs, à l’origine de toute croissance.
Mais il appartient aux gouvernements européens de savoir s’ils veulent ensemble relever le défi. L’Union a des atouts, comme avec le moteur de recherche Qwant adopté par le ministère de la Défense en France (le même ministère qui recourt toutefois aux services de Microsoft, ce qui interpelle). Ce moteur de recherche français s’est allié l’an dernier avec l’allemand Ecosia afin de proposer une offre alternative à Google ou Bing. Pour l’intelligence artificielle générative, Mistral AI se hisse au niveau des meilleurs américains. Pour les réseaux sociaux, Mastodon et Perturbe aspirent à prendre leur envol, comme Panodyssey qui s’adresse essentiellement aux créateurs de contenus.
Si l’on élargit le champ du numérique, les Doctolib, Back Market, ManoMano ou BlaBlaCar sont d’incontestables réussites qui ont dépassé les frontières de l’hexagone. Le terreau existe, la volonté politique manque. Il revient aux gouvernants d’assurer les conditions de la souveraineté !