Olivier Faure : « personne ne doit s’autoproclamer, ni Mélenchon, ni un autre »

par Valérie Lecasble |  publié le 20/09/2024

Le Premier Secrétaire du Parti Socialiste craint que le gouvernement de Michel Barnier ne sonne le glas du front républicain. Il s’explique sur le refus de la gauche de soutenir la solution Bernard Cazeneuve pour Matignon ; se défend d’être à la remorque de LFI et se refuse à fixer une date pour le prochain congrès du PS au moment où les Français affrontent une sévère crise politique et budgétaire. Il soutient enfin une candidature unique de la gauche à la présidentielle, à condition qu’elle soit collectivement approuvée.

Propos recueillis par Valérie Lecasble.

Portrait d'Olivier Faure. Campus d'été du Parti socialiste 2024 à Blois. (Photo de Frederic Petry / Hans Lucas via AFP)

Michel Barnier s’apprête à nommer son gouvernement : on change tout pour tout restaurer ?

C’est la continuité, en pire. C’est l’exact négatif des élections législatives du 7 juillet. Un Premier ministre issu du plus petit groupe, qui n’a pas participé au front républicain, qui prolonge la politique macroniste sanctionnée à trois reprises en un mois. Le tout, sous la tutelle bienveillante du RN. Ce qui se passe en France n’aurait pu se passer dans aucune démocratie européenne.

Une victoire pour Macron qui constitue enfin l’alliance dont il rêvait entre les macronistes et les LR ?

Le président y voit sans doute une victoire mais c’est une défaite de la démocratie. C’est surtout prendre un risque considérable qui peut conduire à la victoire du RN. Comment serons-nous encore entendus lorsque nous appellerons les électeurs de gauche à voter pour un candidat de la droite au deuxième tour lorsqu’il fait face à l’extrême-droite, si le résultat est de se retrouver avec un gouvernement de droite réactionnaire soumis à la volonté du RN ?

Sébastien Lecornu et Rachida Dati, deux des protégés d’Emmanuel Macron sont reconduits. Michel Barnier a plié ?

Emmanuel Macron continue d’imposer sa marque, tout comme Marine Le Pen. Tous les ministres sur lesquels elle avait posé un veto sont absents du gouvernement. Ce gouvernement vit sous la double tutelle de Marine Le Pen et d’Emmanuel Macron.
Pour ce qui relève du choix du Premier ministre, ce qui me frappe, c’est que Michel Barnier ait osé proposer Laurence Garnier à la Famille. Elle s’est opposée au mariage pour tous, à la dissolution des thérapies de conversion, à la constitutionnalisation de l’IVG, c’est le retour de la droite la plus réactionnaire. Tout comme Bruno Retailleau qui, lui, est pressenti à l’Intérieur alors qu’il porte une vision qui n’a rien à envier à celle d’Éric Ciotti lorsqu’il évoque « une régression vers les origines ethniques ». Ces gens font comme s’ils avaient triomphé lors des élections législatives et ils veulent imposer leur vision du monde, y compris après la fresque très inclusive et universaliste de Thomas Jolly aux Jeux Olympiques dans laquelle les Français se sont reconnus. Tout cela me paraît insensé. Ce sont des gages donnés à LR et à l’extrême-droite la plus réactionnaire.

Exit en revanche l’ami Dupond-Moretti, remplacé à la Justice par Didier Migaud, un homme de gauche qui a craqué ?

C’est la rumeur. J’ai du mal à croire que Didier Migaud, qui a été président de la commission des finances, de la Cour des Comptes et de la HATVP, puisse accepter ce type de débauchage pour devenir la maigre caution d’un gouvernement orienté aussi à droite. On me souffle qu’il aurait accepté le poste en échange d’une nomination au Conseil Constitutionnel en février. Cela me semble trop médiocre pour que cela soit vrai. Cela ne correspond pas à l’idée que je me fais de l’homme.

L’intention d’Emmanuel Macron était de relier les droites entre elles

Tout cela vous donne-t-il le regret de ne pas avoir soutenu un gouvernement Cazeneuve qui, de gauche, aurait été mieux équilibré ?

Au vu de ce gouvernement, chacun peut désormais convenir que la nomination de Bernard Cazeneuve était une fable racontée aux enfants. L’intention dès le départ d’Emmanuel Macron était d’avoir un gouvernement qui permette de relier les droites entre elles et de préserver sa politique fiscale, sociale et la retraite à 64 ans. Il n’a jamais eu l’intention d’accorder le moindre changement à qui que ce soit. Bernard Cazeneuve aurait été, tout comme Michel Barnier, prisonnier de la volonté présidentielle et des 166 députés de Renaissance, du Modem et d’Horizons. C’était un piège qui avait pour objectif de diviser la gauche et de laisser penser que le chef de l’Etat avait une idée assez large des profils qui pouvaient rejoindre Matignon. Cette fable est enterrée, il n’y avait aucune possibilité dans l’esprit du Chef de l’Etat pour que la gauche gouverne.

Toutes les conditions que vous avez posées l’ont quand même flingué…

Ce n’est pas la gauche mais le Chef de l’Etat qui s’est opposé à lui. C’est Emmanuel Macron qui censure, décide qui est apte à gouverner et fait danser le monde politique. Ce qu’il n’avait pas réussi avec la dissolution, lancer une grenade pour fragmenter ses opposants, il l’a cherché avec la nomination du Premier ministre.
Michel Barnier est au courant qu’il va être Premier ministre depuis le mois de juillet. D’Alexis Kohler à Roselyne Bachelot en passant par l’entourage de Michel Barnier, tous disent que ce plan a été imaginé de longue date. Le président a cherché dans l’intervalle à semer la zizanie et à brouiller les pistes. Il lui fallait casser le récit de la victoire du Front populaire. Soit en sortant les Insoumis, ce qu’il a tenté en posant l’impossibilité d’avoir des ministres insoumis. Soit en fracturant le PS, ce qu’il a tenté en faisant fuiter le nom de socialistes ou de Bernard Cazeneuve qui a une longue histoire avec nous. Mais le président n’a jamais eu l’intention de perdre le pouvoir ni d’entrer en cohabitation avec qui que ce soit.

Le bureau national du PS a pourtant refusé de s’engager à ne pas censurer un Premier ministre de gauche…

Faire porter la responsabilité au PS, c’est confirmer le récit de la droite du PS qui reprend le récit de l’Élysée. L’Élysée affirme que nous étions dans le rejet à priori de Bernard Cazeneuve, alors que la résolution du PS ne parle pas de Bernard Cazeneuve. Qu’a voté le PS : nous ne jugerions pas « qui » mais « quoi ». Bernard Cazeneuve ne s’est jamais exprimé sur ce qu’il ferait s’il était Premier ministre, il est même le seul homme de gauche à ne pas avoir soutenu le Nouveau Front Populaire qui allait pourtant de Poutou à Hollande. Il n’a pas davantage cherché à en rencontrer les dirigeants alors que cette nomination virtuelle reposait sur le score du Front populaire le 7 juillet. S’il avait annoncé en reprendre les orientations, et vouloir travailler avec ses membres, le sujet aurait été posé très différemment.

La seule question qui devrait vous intéresser, c’est de comprendre avec quelle majorité travailler. La mienne ne renonce pas à abroger la réforme des retraites ni à augmenter les salaires, ni à financer les services publics en proposant de faire contribuer à la hauteur de leurs richesses les grandes fortunes. On ne fait pas une politique de gauche avec une majorité de droite.
La gauche de la macronie reste introuvable. Quand Sacha Houlié a cherché à constituer un groupe, il s’est retrouvé bien seul.

A Blois, vous avez laissé Bernard Cazeneuve se faire huer sans broncher par la LFI Clémentine Autain…

C’est l’argumentaire des motions minoritaires du PS… Quand on invite des gens différents dans un meeting, on écoute ce que chacun a à dire. Et moi, j’ai dit l’inverse dans l’intervention qui a suivi parce que je ne peux imaginer qu’une personnalité de gauche puisse accepter de devenir otage d’une politique qu’il a combattue ouvertement pendant sept ans.

Le PS sait dans sa majorité que c’est le NFP qui a permis d’éviter le drame d’un gouvernement d’extrême-droite. L’isolement du PS le conduit à sa défaite et à la défaite de la gauche. Quelle est l’alternative ? On peut ouvrir le débat et dire : nous, on veut gouverner avec les macronistes et abandonner le reste de la gauche. Il faut choisir. Car on ne peut pas désigner ceux avec qui on ne veut plus être, comme LFI, sans dire avec qui on souhaite gouverner. Seul le NFP donne une légitimité à la gauche pour gouverner.

Le récit cherche à diaboliser les Insoumis et, de là, la gauche

Le Parti socialiste est fracturé en deux tendances quasi-égales, pro et anti-LFI qui s’opposent à chaque vote comme sur la destitution…

Nos instances sont le reflet du congrès de Marseille de 2023 où les nouveaux adhérents n’avaient pas pu voter.
Concernant la recevabilité de la résolution sur la destitution du chef de l’Etat, pas de faux procès. Accepter que le débat ait lieu ce n’est pas approuver. Personne ne soutient la destitution hormis les Insoumis et une poignée de parlementaires de gauche. Mais l’état de droit ce n’est pas seulement les jours où ça nous arrange. Ça c’est le macronisme. Quand cette semaine nous avons aussi accepté la recevabilité de la proposition de loi du RN sur les retraites, ce n’était pas pour nous arranger mais parce que la loi c’est la loi.

Ce qui change le regard des Français sur la destitution d’Emmanuel Macron, ce ne sont pas les deux heures de débat qui auront lieu à l’Assemblée nationale mais que deux anciens Premiers ministres, Edouard Philippe et Gabriel Attal, se lancent dans la bataille présidentielle dès maintenant, ce qui explicite l’idée qu’ils croient à une possible démission du Chef de l’Etat. La déstabilisation d’Emmanuel Macron vient d’abord de ses anciens Premiers ministres et du fait qu’une part du monde économique l’a abandonné et se cherche un autre champion pour avoir l’assurance que la politique libérale conduite en France sera prolongée.

Mais c’est Jean-Luc Mélenchon qui imprime son idéologie !

Il est votre obsession et d’ailleurs il devrait vous remercier davantage de le placer toujours au cœur de vos préoccupations. La gauche n’est pas alignée sur les positions de LFI. Jean-Luc Mélenchon voulait être Premier ministre, il ne l’a pas été ; il voulait imposer l’un des siens, puis Huguette Bello, cela n’a pas fonctionné. En 2022, il avait à lui tout seul une majorité à gauche. Aujourd’hui, il a 72 députés, nous en avons 66. Sur les 193 que compte le NFP, il est largement minoritaire. Laisser penser que tout se joue autour des Insoumis et Jean-Luc Mélenchon, c’est du même tonneau que les chars russes à la Concorde avant la victoire de François Mitterrand.
Jean-Luc Mélenchon est un épouvantail commode pour disqualifier la gauche. Il est utilisé par une partie des éditorialistes qui reprennent le récit développé par la droite qui a commencé par diaboliser LFI, puis a dit que toute la gauche était contaminée, pour finalement déboucher sur l’idée que la gauche ne peut pas gouverner.

Pourtant, Jean-Luc Mélenchon s’accapare les parts de voix médiatique. Le PS est à la remorque, et donne le sentiment d’être le supplétif de LFI…

Malheureusement, ce qui fait du bruit, ce qui fait l’intérêt des réseaux sociaux, c’est ce qui clive et la presse a une préférence pour le spectacle Quand nous faisons au PS nos propositions sur les déserts médicaux, la police de proximité ou sur le grand âge, je regrette que cela n’ait pas le même écho. Quand nous déposons une proposition de loi sur la régulation de l’installation des médecins pour qu’il y ait des généralistes dans tous les départements de France, je regrette que cela n’intéresse personne. Ça fait des brèves dans la presse, 30 secondes dans les radios, c’est vrai. C’est frustrant.

Stopper la course de petits chevaux

La fracture au PS nécessite la tenue d’un Congrès. A quelle date ?

Nous sommes encore dans les équilibres du Congrès de Marseille où tous les adhérents n’avaient pas pu voter. Il y a eu depuis le début de l’année, 5 000 nouveaux adhérents au Parti Socialiste dont 3 000 depuis la dissolution. Le corps électoral a largement évolué. La majorité est aujourd’hui très large et très unitaire. S’il y avait un vote demain matin, je le gagnerais vraisemblablement largement.
Nos statuts disent que c’est à mi-mandat présidentiel, donc en 2025 que doit être fixé le Congrès. Le dernier Congrès du PS a eu lieu il y a an et demi, et le précédent, un an auparavant. Il n’y a pas de parti plus démocratique que le PS mais un congrès dure neuf mois et mobilise l’essentiel de l’énergie militante. Ma responsabilité c’est d’éviter que nous nous regardions le nombril quand la France est en situation de crise politique. Comment expliquer quand il y a des débats sur la censure ou le budget, que nous allons nous consacrer à un Congrès ?

Vous êtes pour une candidature unique de la gauche. Derrière Jean-Luc Mélenchon qui est déjà candidat ?

Jean-Luc Mélenchon, c’est vraiment obsessionnel. Si la gauche veut se donner la meilleure chance de victoire, elle doit rechercher le moyen d’aboutir à un candidat unique. Quatre ou cinq candidats de gauche c’est l’assurance d’avoir pour la troisième fois consécutive un duel de second tour qui oppose la droite à l’extrême droite. Un candidat unique serait en mesure d’égaler le score de Marine Le Pen au premier tour et permettrait de se poser la seule question utile, celle de savoir quelle est la candidature qui permet à la gauche de l’emporter au second.
Je suis favorable à un candidat unique de la gauche, à condition que ce choix soit collectivement approuvé. Personne n’est légitime à s’autoproclamer. Ni Jean-Luc Mélenchon ni aucun autre. Face au risque de l’aventure RN ou à la prolongation cinq années encore du bloc libéral, chacun doit peser sa responsabilité et stopper la course de petits chevaux qui se finira par le renvoi de tous à l’écurie sans passer par la case Élysée.

Les divergences programmatiques à gauche sont profondes, et l’incarnation est un sujet. Où est passé Raphaël Glucksmann ?

Oui c’est vrai, nos divergences sont profondes sur certains sujets et je ne méconnais pas la difficulté de s’accorder. Mais notre devoir est de tout faire pour y parvenir pour ces millions de Français qui n’en peuvent plus de voir leur camp miné par les divisions.
Quant à Raphaël Glucksmann, que j’ai souhaité voir mener à deux reprises notre liste aux élections européennes, il travaille au Parlement européen et réfléchit à la modernisation du logiciel social-démocrate. Le combat européen s’est complexifié avec la droitisation des chrétiens-démocrates aimantés par l’extrême droite de Georgia Meloni. Raphaël apporte sa singularité et sa sincérité au débat. Il va prendre toute sa place dans le débat public. Aucune victoire n’est possible sans rassemblement de toute la gauche.

Propos recueillis par Valérie Lecasble

Valérie Lecasble

Editorialiste politique