Orsay s’affiche
C’est une exposition exceptionnelle que propose le musée d’Orsay avec cette riche collection d’affiches du 19ème siècle, qui reflètent avec un rare talent les évolutions et les heurts de la société du temps.

Bien sûr, on en connaît de fameuses : Dubonnet, les Cycles Peugeot, le Bal Tabarin, le Moulin Rouge et la Goulue, le chocolat Meunier, le papier à cigarette Job, les pastilles Valda ou, la plus célèbre d’entre elles : la Tournée du Chat Noir, signée Steinlen, qui se décline encore aujourd’hui en produits publicitaires sous toutes ses formes et sous toutes les latitudes… Ces affiches ont marqué leur époque et flottent encore dans nos inconscients ; elles ne forment que la partie visible d’un immense iceberg de papier.
Les « placards affichés » ont connu un essor considérable sous la Révolution française. Mais le véritable boom aura lieu, plus tard, dans la seconde moitié du 19ème siècle, grâce à deux innovations : l’illustration et la couleur. Les peintres (notamment Vuillard avec « Le métro, la station Villiers »), et les photographes (Eugène Atget …) montrent un Paris dont les murs disparaissent sous le papier.
Au moment même où, sous le second Empire, la société se modernise, la rue se transforme ; les affiches murales, souvent gigantesques, participent de cette soif productiviste et consumériste. Et déjà, la polémique enfle entre les modernistes, partisans de la liberté de commerce et d’expression, et les conservateurs, soucieux de la préservation du patrimoine urbain, qui considèrent la publicité murale comme une « pollution visuelle ».
Le colleur d’affiches (dont quatre colleuses) devient un personnage emblématique de l’époque. Au point que lors d’un bal à l’Opéra, le prince Napoléon choisit de se déguiser ainsi. En 1887, on compte également 604 « porteurs d’affiche » qui déambulent dans Paris.
Il fallait aussi compter avec la censure. Ainsi, on verra l’ironique « Cette partie du dessin a été interdite » (1891) d’Alfred Choubrac. L’affiche réalisée pour le journal littéraire illustré « Fin de siècle », montre une jeune danseuse plutôt enthousiaste dont le milieu du corps, qu’on imagine dénudé, disparaît sous le titre. Ou deux versions d’une pub de Jules Chéret pour le spectacle Les Rigolboches à l’Alcazar d’été – l’une, interdite par les censeurs, l’autre, autorisée.
Jules Chéret (1836-1932) : le pionnier et la vedette de ce mouvement dont on peut admirer, entre autres, « Soxoléine », 1893 ; « Bal masqué à l’Élysée Montmartre », 1895). La critique le sacre « peintre de la polychromie murale contemporaine ». L’exposition fait la part belle à Toulouse-Lautrec et à Steinlen, mais elle permet également de découvrir Henri Thiriet (« Exposition de blanc à la Place Clichy », 1898), Wilfred Monot (le saisissant « L’absinthe c’est la mort », 1902) ou Clémentine-Hélène Dufau (« La Fronde », 1898, lithographie en couleur de toute beauté pour le journal féministe du même nom). Sans oublier l’excellent Henri Gustave Jossot (Arsène Saupiquet. Sardines Jockey-Club,1897), œuvre qui met en scène, autour d’une table, la chanteuse de caf’conc’ Yvette Guilbert, la comédienne Sarah Bernhardt, le journaliste pamphlétaire, ancien bagnard de la Commune puis anti-dreyfusard, Henri Rochefort ( dit « l’homme aux 20 duels et aux 30 procès »), le chansonnier Aristide Bruant et Philippe Grenier, surnommé « le député des musulmans ». Lequel Jossot affirmait : « L’affiche sur le mur doit hurler, elle doit violenter le regard des passants. »
L’Art est dans la rue, Musée d’Orsay, jusqu’au 6 juillet.
Concerts à l’auditorium autour du spectacle de François Morel, « Ce qu’a vu le pavé ». Avec (selon les dates), Judith Chemla, Antoine Sahler, Lucrèce Sassella … Les jeudi 10, 17 et 24 avril à 19 heures et 20 heures.