Pape François : l’ennemi américain
Pendant tout son pontificat, le pape a lutté contre le schisme du « néochristianisme » américain, nationaliste, conservateur et identitaire. En vain ?
Attardons-nous un instant sur le passage au Vatican du vice-président américain, JD Vance. L’image restera comme la dernière audience diplomatique du pape François. Une rencontre brève, sans effusion inutile, qui n’a pas débouché sur une réconciliation entre le numéro deux américain, représentant le courant « post-libéral » du catholicisme et le « pape des pauvres ». La césure entre le porte-drapeau du clan Trump et le Vatican est impossible à surmonter.
JD Vance est en effet l’un des idéologues de l’équipe Trump, un proche de l’entrepreneur Peter Thiel, le fondateur de Paypal, qui estime que l’église catholique doit inspirer un modèle d’État autoritaire et illibéral.
Issu d’une famille protestante, converti au catholicisme après ses études à l’université de Yale, le vice-président américain est le chef de réseau du courant radical et identitaire du catholicisme venu d’outre-Atlantique. Une forme de fondamentalisme catholique. « Vance est représentatif de ce néochristianisme, catholique intégriste chez lui, mais, en fait, foncièrement protestant, car le fondamentalisme est d’essence foncièrement protestante », souligne le philosophe Olivier Abel qui ajoute : « Quand on a tout désacralisé, il reste le dernier sacré, absolutisé, celui de la Bible entendue en totalité comme parole de Dieu. Le projet de retrouver enfin la terre sainte anime ce fondamentalisme, profondément inculte de l’épaisseur des Écritures bibliques comme de l’histoire humaine de ces territoires. Le rétablissement du Grand Israël est un projet colonial largement issu de ce fondamentalisme américain ».
« Cette personne n’est pas chrétienne », avait sèchement déclaré le pape François à l’annonce par Trump de la création d’un mur anti immigrants entre le Mexique et les États-Unis. Pour le second mandat, le souverain pontife a adressé une lettre à tous les évêques américains pour critiquer le projet de déportation massive des migrants.
Le pontificat du pape François est jalonné par un soutien sans faille aux clandestins. Tout le monde se souvient de son premier voyage à Lampedusa, de la couronne de fleurs jetée en méditerranée ou périrent tant de migrants en provenance d’Afrique. Plus tard, en 2021, il se rendra dans l’ile grecque de Lesbos, alors véritable prison à ciel ouvert pour les candidats au départ pour l’Europe. La question des migrants était inscrite dans la mémoire de ce pape argentin fils d’immigrés italiens.
Ses voyages pontificaux les plus nombreux l’on conduit en terre d’Orient : Jordanie, Turquie, Israël, Palestine, Irak. On retiendra son passage à Bagdad, sa rencontre avec l’Ayatollah Sistani, le représentant des chiites irakiens. Cette volonté d’ouvrir le dialogue était une façon pour ce jésuite de formation de faire appel à la responsabilité de chacun face à l’indifférence et au repli identitaire.
Le pape François téléphonait chaque soir à son compatriote Gabriel Romanelli, curé de l’église de la Sainte Famille de Gaza, pour s’enquérir de la guerre. Cette paroisse de quelque 200 fidèles anime aussi deux écoles, soit 600 élèves, chrétiens et musulmans. « Ils vivent en frères, expliquait le souverain pontife, ils me racontent des choses difficiles. Je ne peux qualifier ces actions de guerre… Quand on voit les corps des enfants tués c’est vraiment terrible. Parfois, on entend que c’est une guerre défensive, ou non. Je crois que c’est une guerre de trop ».
La doctrine sociale de l’église, issue du concile de Vatican II, animait l’action du pape François. Dans sa jeunesse, le jeune prêtre argentin qu’il a été connaissait les principes de la « théologie de la libération » qui représentait alors une forte composante de catholicisme latino-américain.
Aujourd’hui le courant catholique dit « post-libéral » ou, pour reprendre l’expression d’Olivier Abel ce « néochristianisme », associe immigration et multiculturalisme dans un même rejet. Ce mouvement ultra-conservateur considère que toutes ces idées sont des vieilles lunes appartenant au XXème siècle, tout comme le multilatéralisme, les organisations internationales, la mondialisation économique. Ce qu’ils veulent, c’est réévangéliser l’Amérique avec un narratif qui tourne le dos au monde d’hier, compassionnel et altruiste. Un monde brutal bâti avec l’appui d’une église post-libérale, autour d’un état fort, au service des classes moyennes blanches : tel est le projet.