Parrain et écrivain
Pour l’instant seulement parus en Italie et publiés par les éditions Rizzoli, les journaux intimes du « dernier parrain de la Cosa Nostra » livrent un autoportrait surprenant.

On ne peut pas dire qu’il arrive souvent qu’un parrain de la mafia tienne un journal pendant sa cavale. C’est pourtant ce qui est arrivé en Sicile : 150 pages en lettres majuscules de la main de Matteo Massina Denaro, arrêté en janvier 2023 à Palerme, après 30 ans de fuite. Celui qu’on décrit comme « le dernier parrain de Cosa Nostra » est mort d’un cancer quelques mois après son arrestation, à l’âge de 61 ans.
Il aura laissé cet étrange témoignage, aujourd’hui publié par Rizzoli dans une version largement commenté par Lirio Abbate, le célèbre spécialiste de la mafia.
Dans ce qu’il appelle ses « petits livres », Matteo Messina Denaro livre un auto-portrait original dans un style parfois affecté. À la lecture, on se pose sans cesse cette question : était-il un simple criminel arrogant ou plutôt un sicilien non-conventionnel, inclassable, en guerre contre la solitude et les persécutions, un grand sentimental qui se se serait situé toute sa vie « par-delà le bien et le mal » ?
Le jour de son arrestation, le 16 janvier 2023, Denaro « est élégamment vêtu d’un mouton beige à 10.000 euros, d’une chemise Fay, d’un pantalon Burberry, et il porte au poignet une montre Franck Muller à 35.000 euros », raconte Lirio Abbate.
On l’imagine facilement en parrain paradant quand il entre dans la clinique de Palerme où il sera cueilli par les autorités.
Contrairement à ses collègues siciliens, qui, plus provinciaux que lui, tendraient à se terrer dans les recoins de l’île, il adore voyager, gambader dans les capitales étrangères et séduire les femmes qu’il croise sur son passage. Peu avare de commentaires érotiques et machistes, il parle ainsi dans son texte du « culetto », le « petit cul » d’une dame, qu’il a surprise agenouillée à l’église. « Le culetto dit tout d’une femme », écrit-il , « tout de son caractère, son tempérament, son irascibilité ou sa gaité, son coté maternel ou son goût du plaisir ».
Ajoutons qu’il « plait beaucoup aux femmes et qu’il les collectionne, y compris des françaises » comme le raconte Abbate. À propos de l’une d’elle, le parrain écrit : « J’ai rêvé de m’endormir sur son pubis noir cuivré, couleur henné ».
L’autoportrait, jusqu’ici légèrement attendu, pourra pourtant surprendre le lecteur. Ainsi, Matteo Massina Denaro livre des passages émouvant sur sa fille, Lorenza, et des réflexions sur la culture et à la religion. Il accumule les citations en latin, parle d’Érasme, avoue qu’il « préfère écrire plutôt que parler » et s’il évoque Dieu c’est en qualité d’agnostique : « Je veux à ma mort un face à face avec Dieu, sans intermédiaires ». Fier de lui, il philosophe : « Ce qui importe c’est comment nous vivons, comment nous utilisons ce qui nous a été donné, et le fait de pouvoir penser « Je n’ai pas gaspillé mon temps » ».
On ne trouvera ici aucune repentance. Interrogé à diverses reprises pendant sa détention, achevée à sa mort, le 25 septembre 2023 , il n’avancera pas l’ombre d’une autocritique. On se souviendra tout de même que Matteo Massina Denaro, en compagnie d’autres membres de la « Commission » de Cosa Nostra, commandita délibéra l’assassinat du juge Giovanni Falcone le 23 Mai 1992.
I Diari del boss, de Lirio Abbate et Matteo Messina Denaro, Rizzoli, 336 pages, 18,50€.