Pascal Canfin : réunir les progressistes des deux rives

par Valérie Lecasble |  publié le 04/07/2025

Face au rapprochement entre la droite et l’extrême-droite porté par la galaxie Bolloré, l’arc progressiste doit s’organiser pour gagner en 2027. C’est la conviction du député Renew, qui crée un espace de dialogue de la gauche sans Mélenchon à ceux qui à droite refusent toute majorité avec LR.

Le député européen français du groupe Renew Europe et président de la commission de l'environnement Pascal Canfin pose lors d'une séance photo à Paris le 23 mai 2022. (Photo JOEL SAGET / AFP)

Pourquoi avez-vous eu l’idée de cette plateforme progressiste(*) ?

La vie politique nationale est en déliquescence. Elle met à mal le fonctionnement démocratique de notre pays et l’efficacité des politiques publiques. Le vent mauvais souffle vers l’extrême droite et je constate au Parlement européen qu’il y a un rapprochement politique et culturel entre la droite et l’extrême droite. Cela risque de mal finir.

C’est aussi ce qui se passe en France, notamment chez Les Républicains, avec Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez, qui font le pont entre LR et l’extrême droite. Cette bataille culturelle contre les idées libérales prend la forme d’un trumpisme européen et se répand en France. Voyez les attaques du RN et de LR contre l’indépendance de l’Agence nationale de sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail (ANSES) : elles visent à casser son expertise scientifique.
Face à ces menaces, l’arc progressiste doit s’organiser. La première urgence, c’est de créer un espace de dialogue afin de faire émerger ce qui nous rassemble.

Comment allez-vous faire ?

Sur beaucoup de sujets, la méthode des conférences de consensus permet de trouver des axes communs qui redonnent de l’espoir. Il s’agit de rapprocher plutôt que de fracturer. Cet arc progressiste a deux bornes : à droite, ceux qui veulent constituer une majorité avec LR ; à gauche ceux qui veulent s’associer à Jean-Luc Mélenchon. LR n’est plus un parti de la droite classique mais une formation ultra-conservatrice qui, sur beaucoup de sujets, s’est rapprochée de l’extrême droite, selon la stratégie promue par la galaxie Bolloré.

Nous devons donc nous organiser. À l’Assemblée nationale aujourd’hui, plus personne ne se parle entre progressistes. Nous devons repartir d’un discours de la méthode. Plutôt que de se focaliser sur les personnalités et l’incarnation, il s’agit d’adopter une méthode de fonctionnement différente. Je propose de tenir des conférences pour susciter le consensus, ce qui est plus efficace que les batailles permanentes de personnes.

À qui vous adressez-vous ?

Je partage l’intuition de François Ruffin. Il faut partir des identités professionnelles des Français, de ce qui fait leur quotidien. On a trop tendance à énoncer des grands principes, déconnectés de la réalité, et à vouloir les appliquer sans que personne ne les comprenne. Les deux métiers avec lesquels je souhaite élaborer des propositions sont les auxiliaires de vie et les magasiniers dans les entrepôts logistiques.

Pourquoi eux ?

Ce sont deux des métiers les plus exercés en France dans le secteur privé : 500 000 auxiliaires de vie et 300 000 magasiniers, soit 800 000 personnes. Ils se complètent : les auxiliaires de vie sont plutôt des femmes tandis que les magasiniers en majorité des ouvriers des territoires semi-ruraux et dont une bonne partie vote certainement pour le Rassemblement national. Il faut partir de leur vie quotidienne, de leur vécu, des problèmes qu’ils rencontrent, de la vraie réalité, celle que Pierre Rosanvallon appelle les épreuves de vie.

Il faut que la gauche et le camp progressiste, idéalement en lien avec les représentations syndicales, repartent des épreuves de vie d’un magasinier dans un entrepôt d’Amazon qui travaille la nuit, avec des horaires décalés, des déplacements et une exigence de productivité intrusive. Au point que l’organisation de sa vie professionnelle surdétermine tout le reste de sa vie.

Comment votre plateforme va-t-elle fonctionner ?

La première réunion se tiendra le 11 juillet en visioconférence. La plateforme a déjà près de 1500 inscrits et n’a pas de structure fixe, pour éviter tout enjeu de pouvoir. Il suffit d’adhérer sur le site, c’est gratuit. Ensuite, travaille qui veut, sur la base des projets choisis par les participants. Mon objectif n’est pas de créer un nouveau parti politique mais un espace de dialogue. Raphaël Glucksmann, François Hollande, Gabriel Attal, Elisabeth Borne, Laurent Berger, Carole Delga, Nicolas Mayer-Rossignol… disent que c’est une bonne idée. David Amiel, Roland Lescure, Olga Givernet, François Gemenne, Loïc Chesnais-Girard souhaitent y participer.

Dès le mois de septembre, nous organisons des conférences de consensus afin que le projet progressiste puisse se développer. Sarah Faivre, la maire de Quingey, village du Doubs, qui m’accompagne, va piloter les sujets sur la ruralité afin que nous partions de ce qui fonctionne dans les territoires. Un exemple sur lequel elle a travaillé : les déserts médicaux, qui sont à la fois un enjeu de vie quotidienne et un enjeu politique tant les Français se sentent abandonnés. Elle a réussi à faire coopérer le grand CHU de Besançon avec un petit hôpital de sa communauté de communes, et avec des médecins libéraux. Ainsi, des spécialistes se déplacent pour voir les patients, en lien avec le CHU, le petit hôpital, et les médecins.

C’est un message d’espoir : dépasser les affrontements pour que la vie politique redevienne efficace. Et ce sont des solutions nouvelles, qui consistent à s’organiser autrement sans dépenser plus.
Notre plateforme collabore avec des professionnels de l’innovation dans les politiques publiques comme Gilles-Laurent Rayssac, fondateur du cabinet Res Publica. Sa méthode est inspirée par les conférences de consensus. Elle est basée sur une association de soutiens et de grands donateurs, qui nous donnent les moyens de travailler parce qu’ils croient en cette initiative et en la capacité du camp progressiste à se dépasser.

Avez-vous d’autres exemples ?

Je pense que l’on peut essayer de dépolariser un sujet potentiellement clivant comme celui des fonds de pension à la française pour compléter les régimes de retraites. La conférence de consensus utilise une méthode qui a fait ses preuves. On réunit quelques milliers de personnes en virtuel et on leur pose la question : êtes-vous pour ou contre les fonds de pension ? Un ou deux experts exposent les données du problème. Puis on interroge les participants sur des points précis, par exemple si les syndicats sont au conseil d’administration ou si les fonds sont gérés par la Caisse des Dépôts ? Puis on définit un nuage d’accords autour d’une proposition. C’est ainsi que l’on parvient à un consensus qui devient un bien commun.

L’une des propositions qui peut nous rassembler, c‘est l’interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans, sans attendre de passer par l’Europe et sa réglementation. On va trouver un chemin en France pour y arriver, qui se traduira par un projet régalien progressiste. Ces réseaux détruisent la démocratie et il faut protéger la santé mentale de nos enfants.

L’important est de construire une culture commune, puis chacun est libre de dire : je peux adopter la proposition… ou pas. L’objectif est que ça démarre. Si ça prend, on pourra construire un socle, une culture qui fédère au lieu de cliver. C’est une structure pour susciter et tester des idées. Et aussi valoriser des actions qui se font déjà dans nos territoires mais qui doivent gagner en ampleur.

Quel est votre objectif personnel dans tout cela ?

Ce qui m’importe, c’est la victoire des idées progressistes, les faire gagner au second tour de l’élection présidentielle de 2027. Je veux construire des ponts pour œuvrer en faveur du bien commun.

(*) site : https://laplateforme progressiste.org/

Propos recueillis par Valérie Lecasble

Valérie Lecasble

Editorialiste politique