Les ingénieurs du KO
Les défaites politiques sont toujours le résultat de défaites idéologiques. Et les intérêts marchands se rallient servilement, comme aux Etats-Unis aujourd’hui.

Le courant de pensée qui s’installe à Washington chemine depuis longtemps : Steve Bannon, Victor Davis Hanson, Ann Coulter, Curtis Yarvi ont suivi la trace lointaine de Milton Friedman et Leo Strauss. Leurs idées se trouvent relayées aujourd’hui par plusieurs grands de la tech, convaincus que l’avènement d’un régime autoritaire servira leurs intérêts. On oublie trop souvent que ce même Milton Friedman, chantre de l’ultra libéralisme, a conseillé en son temps un certain Pinochet.
Des figures comme Marc Andreessen , Peter Thiel , Elon Musk ou Curtis Yarvin ravivent ces idées, en prônant une concentration du pouvoir entre les mains d’une élite prétendument éclairée mais surtout dopée à la testostérone.
Marc Andreessen exprime son admiration pour les premiers intellectuels fascistes et défend une gouvernance inspirée des grandes entreprises, qu’il considère plus efficaces que les institutions démocratiques. Et Yarvin s’est demandé un jour « qu’y-a-t-il de si mauvais chez les nazis ? »
Elon Musk, enfin, soutient publiquement le démantèlement de l’administration publique et appuie des figures d’extrême droite en Allemagne et au Royaume-Uni.
Mais est-ce bien nouveau ? Petit rappel
L’idéologie nationale socialiste qui a pénétré les esprits grâce aux idées d’Alfred Rosenberg, Oswald Spengler, Martin Heidegger, Carl Schmitt, entre autres. Les industriels allemands s’y sont ralliés pour bénéficier d’un environnement favorable à leurs affaires : suppression des grèves, main d’œuvre forcée, commandes d’armement… : Fritz Thyssen, Alfred Krupp, Gottlieb Daimler, IG Farben, Hugo Boss…
En Italie Gabriele d’Anunzio comme Malaparte ont inspiré Mussolini et ses nervis qui eux même s’appuyèrent vite sur des patrons comme Leopoldo Pirelli ou Giovanni Agnelli. Comme les hommes ont la mémoire courte !
Bien sûr ces ingénieurs du chaos ont toujours prospéré sur un terrain favorable : une opinion déboussolée, une société en recherche de réponses à une crise de valeurs. Nous y sommes. L’histoire bégaie.
Je ne soutiens pas ici que l’Amérique est tombée dans le fascisme. Ce serait ridicule. Mais les faits sont là et troublants et le bras tendu d’Elon Musk révèle au minimum un climat. En 2025, une nouvelle oligarchie, dont les sept principales fortunes ultra-conservatrices américaines a atteint en un temps record et sans réel contrepouvoir une valorisation cumulée de 1400 milliards de dollars. Ils disposent, avec les réseaux sociaux, d’une immense capacité d’influence. Et ils prônent ouvertement une forte concentration des pouvoirs dans les mains d’un petit nombre de leurs amis politiques, qu’ils financent : c’est la définition même de la ploutocratie. L’Amérique a tout à fait le droit de se doter d’un pouvoir fort. Mais, instruits par l’histoire, tous ceux qui croient aux valeurs de la démocratie ont aussi le droit de se méfier.
Les esprits qui ne se résignent pas à cette dérive doivent aujourd’hui reprendre le combat, en commençant par celui des idées.