Pour une majorité verte      

publié le 02/09/2024

Auteur d’un livre important qui paraît ces jours-ci, Denis Pingaud (*) propose une majorité nouvelle, sociale et écologique, qui transcende les divisions partisanes

D.R

Comment sortir de la polarisation politique qui rend si difficile le gouvernement de la France, comme on le voit avec les tractations interminables autour du nouveau gouvernement ? Il y a sans doute une autre voie que celle du Nouveau Front populaire, qui a oublié un peu vite que son illustre ancêtre réunissait bien plus large que la gauche traditionnelle, et qui s’est cantonné à un programme d’inspiration keynésienne, radical et peu crédible.

Il est temps qu’émerge une coalition politique qui accepte de considérer que la radicalité sans le pouvoir ne mène à rien. Aujourd’hui, le véritable enjeu est d’imaginer une transition écologique vertueuse et durable, qui rassure et rassemble. Ses partisans aujourd’hui dispersés sur les bancs du Palais-Bourbon peuvent constituer une forme de majorité « verte » à l’Assemblée nationale. Ils doivent oublier les postulats et les anathèmes entre sensibilités politiques démonétisées et sceller d’urgence un compromis historique.

Leur programme commun ? Accélérer sur la voie de la décarbonation et, surtout, protéger les plus défavorisés. Assurer leur fin de mois en évitant la fin du monde, garantir leur sécurité sans trier les Français ni dénigrer les immigrés constitue les meilleures armes pour reconquérir l’opinion et empêcher, demain, Marine Le Pen de s’installer à l’Élysée. Telle est la thèse de cet ouvrage.

Tous les clignotants, en effet, restent au rouge. Ils annoncent non seulement de graves désordres climatiques, dont seront victimes en premier lieu les populations fragiles, mais aussi de nouveaux freins à l’activité économique, qui obligeront à repenser le modèle de développement. Les pourfendeurs de l’« écologie punitive » ont beau jeu de dénoncer les normes et les règles dont se plaignent – parfois à juste titre – certaines catégories de la population. Et les hérauts de l’adaptation n’ont pas toujours tort de préconiser une démarche réaliste pour ­préparer la résilience effective des activités économiques et humaines dans un monde à quelques degrés de plus.

Tous se gardent bien, cependant, d’évoquer l’inégalité qui vient et qui nourrit le vote populiste : des riches qui auront les moyens de s’adapter et des pauvres qui subiront la double peine climatique et sociale. La condition d’une bifurcation réussie, justement, est de remettre à l’endroit une société dans laquelle les écarts de revenus et de patrimoine ne cessent de se creuser. Il n’y aura pas de transition heureuse sans transition juste.

Dès lors, les positionnements politiques disparates du camp de la raison climatique devront converger vers ­plusieurs constats. D’abord, l’idée d’un retour à l’idéal social-démocrate, fondé sur un meilleur partage des fruits de la croissance, est désormais caduque. La sobriété, imposée par la préservation des ressources de la planète, implique des efforts différenciés pour sauvegarder en premier lieu les conditions de vie des plus démunis.

Ensuite, l’embarquement de toute la société suppose de revisiter les procédures démocratiques et de rétablir la confiance. Contre toute tentation autoritaire, pour cheminer vers un monde plus durable, le contrat et le consensus avec l’ensemble des acteurs économiques et sociaux – au premier rang desquels les entreprises – sont les boussoles les plus sûres. Enfin, au vu d’une violence politique qui amplifie la voix des extrêmes, l’apaisement du débat démocratique apparaît comme une urgence pressante. Il nécessite un autre langage – débarrassé de ses éléments trop faciles et trop construits, trop financiers et trop technocratiques – qui renoue le lien entre les citoyens et l’action publique.

Cette démarche représente le seul contre-feu possible pour réduire la poussée populiste. La tripolarisation issue des législatives n’est pas une « clarification », comme veut le croire Emmanuel Macron, mais une menace. Sans engagement novateur et inédit de la classe politique progressiste, la gestion conflictuelle, brinquebalante ou aléatoire des institutions ne peut déboucher que sur un esprit de revanche de la part des électeurs. L’échéance de l’élection présidentielle est d’autant moins lointaine qu’une crise politique majeure n’est pas à exclure.

L’incendie n’a pas été éteint le 7 juillet 2024. Pour éviter que le feu ne reparte de plus belle, il faudra bien alors incarner le combat pour une transition heureuse. Qui pour séduire, convaincre et rassembler une majorité de Français ? Qui, dans le camp de la raison climatique et sociale, pour défendre un projet résolu dans ses objectifs, crédible dans ses moyens et attractif dans ses méthodes ? Il est urgent de se préparer à répondre à la question.

Denis Pingaud

  • Denis Pingaud , président du cabinet de Conseil Balises, Sortir de l’impasse, le temps de la social-écologie, Les petits matins, 18 euros, 180 pages. Nous publions ici un extrait de l’introduction du livre.