Pourquoi l’AfD a percé
Le très haut score du parti d’extrême-droite s’explique par la montée d’un sentiment « antisystème », mais aussi par l’héritage ambigu de l’Allemagne de l’Est communiste.

Du jamais vu dans l’histoire de l’Allemagne depuis la seconde guerre mondiale : l’extrême droite est la seconde force politique du pays derrière la CDU. Avec près de 21% des voix, elle rafle 152 sièges au Bundestag, les sociaux-démocrates sont relégués au troisième rang avec 120 sièges, les verts font un score inférieur à 12% et la gauche avec « Die Linke » ressurgit avec 8,8%
On pourra toujours dire que les sondeurs ont eu raison, que l’on savait les sociaux-démocrates en perte de vitesse après trois années médiocres avec Olaf Scholz. Il n’empêche, à Berlin, on vient de tourner une page essentielle. De ce 23 février on retiendra l’érosion des partis historiques, quand bien même le patron de la CDU, Friedrich Merz, fort de ses 208 sièges, sera dans quelques semaines le chancelier d’une « grande coalition » avec les socialistes.
La campagne s’est déroulée sous l’emprise du parti xénophobe et populiste d’Alice Weidel, l’Alternative für Deutschland (AfD) avec un débat permanent sur l’immigration, relancé par trois fois avec des attentats terroristes. Il n’y a pas eu de véritable discussion sur l’identité industrielle et économique du pays, pas d’avantage sur la place de l’Allemagne en Europe. En revanche, le pays a subi de plein fouet les diatribes de l’administration Trump contre les restrictions des libertés. Il a aussi eu une réaction de rejet lorsque la CDU a voté au Bundestag avec l’AfD un texte conjoint sur l’immigration.
A l’est, c’est la poussée exceptionnelle de l’AfD qu’il faut retenir car elle annonce une fragmentation plus forte encore pour les scrutins à venir. La géographie même de cette percée fait « réapparaitre », presqu’à l’identique, les contours de l’ancienne RDA. Le long de la frontière polonaise et tchèque, le score de AfD dépasse souvent les 30%. Dans ces Länder, le parti d’extrême droite confirme un ancrage amorcé depuis des années.
Soutenue désormais par les bateleurs de Trump, Elon Musk en tête, la formation d’Alice Weidel a labouré depuis dix ans ces terres eurosceptiques où personne n’attend plus rien de Bruxelles. En ex-RDA, on a voté pour le parti anti-guerre en Ukraine, donc pour l’AfD. Il existe toujours une proximité avec la Russie : la diaspora est toujours présente, les Allemands de l’Est savent souvent le russe et gardent une culture pacifiste.
D’est en ouest, l’AfD représente plus que jamais le parti antisystème. « Jusque dans les années 1990-2000, ce sentiment avait trouvé une chambre d’écho à travers Die Linke, le parti de la gauche radicale, issu de l’ancienne formation communiste de RDA. Mais il a perdu massivement ses voix au profit de l’AfD », explique Jeannette Suess, chercheuse au Centre d’étude franco-allemand de l’IFRI. La fermure des usines et le sentiment d’abandon n’éclairent pas tout dans cette région du grand Est qui compte 9 millions d’électeurs (60 millions d’électeurs à l’échelle du pays). Au glissement du vote ouvrier s’est ajouté l’arrivée d’une génération qui ne suit plus les médias traditionnels mais les réseaux sociaux dont l’AfD se sert avec dextérité.
« C’est un phénomène récurrent qui renvoie à l’histoire de la République démocratique, précise Jeannette Suess, on remarque une certaine appétence pour les structures autoritaires, une appréhension vis-à-vis de la démocratie, une carence, également aussi par rapport à l’histoire du national-socialisme. Exemple : les sondages montrent que les élèves de l’Est ne sont pas capables de citer des noms de camps de concentration, ils manquent de connaissance sur l’ampleur de la Shoah ».
A l’échelon fédéral, l’éducation civique est assez développée. Mais tout dépend de sa répercussion au quotidien dans la population. Pendant les quarante ans du régime communiste de RDA, on le sait, le travail de mémoire sur la période nazie a été bâclé ou superficiel. On a vu des fonctionnaires nazis récupérés par la Stasi. C’est le genre d’amnésie historique qui conduit Alice Weigel à nous raconter aujourd’hui qu’Hitler était un communiste.