Pourquoi l’Europe de la défense patine

par Pierre Benoit |  publié le 05/02/2025

Chaque jour qui passe rend plus urgente la constitution d’une force armée européenne. Mais les obstacles sont redoutables…

Le président du Conseil européen Antonio Costa accueille le président Emmanuel Macron alors qu'il arrive pour une réunion informelle des dirigeants de l'UE pour discuter de la défense européenne, au Palais d'Egmont à Bruxelles le 3 février 2025. (Photo Nicolas TUCAT / AFP)

« Le séminaire ». C’est ainsi que les 27 pays européens réunis lundi à Bruxelles ont baptisé leur réunion informelle, en présence de Mark Rutte, secrétaire général de l’Otan, avec, en soirée, l’apparition pour la première fois depuis le Brexit, d’un premier ministre britannique en la personne de Keir Starmer. Le sujet de cette « master class » originale ? Comment développer les capacités de défense européennes…

L’ombre d’un invité surprise a plané sur les travaux de Bruxelles : Donald Trump avec ses menaces de taxes douanières au moment précis où l’Union Européenne cherche à augmenter le niveau de ses dépenses militaires.

Bien avant son élection, il avait déjà commencé à faire trembler l’Europe en répétant qu’il ne fallait pas compter sur lui pour maintenir tel quel le parapluie de défense américain sur le vieux continent. Il avait même chiffré à 5% du PIB de chaque pays européen le niveau qui lui semblait acceptable de consacrer aux dépenses militaires. A ce jour, seule la Pologne frôle un tel score en consacrant 4,7% de son PIB à son budget de défense suivie des pays baltes. Les voisins de l’Ukraine ont compris le message que leur a adressé Vladimir Poutine en lançant ses troupes le 24 février 2022.

« Nous sommes tous d’accord pour dépenser plus et dépenser mieux », a reconnu le président du Conseil européen Antonio Da Costa. Depuis l’invasion de l’Ukraine, la plupart des 27 ont déjà augmenté leurs budgets de défense. Mis bout à bout, le total des dépenses militaires des pays de l’Union dépassent les 200 milliards d’euros soit plus que Moscou et autant que Pékin, comme le rappelait Gilles Bridier dans une chronique récente. A Bruxelles, on estime que les 27 devraient investir 500 milliards d’euros supplémentaires (étalés sur dix ans) pour bâtir une véritable sécurité. Comment y parvenir ?

Ici, les divergences apparaissent très vite. Pour construire l’Europe de la défense, il faut conjuguer un mécanisme de financement pérenne avec un outil industriel adapté.

Sur le financement, la présidente de la commission Ursula von der Leyen a ouvert une piste en proposant de s’affranchir de la règle limitant les déficits publics des États membres à 3% de leur PIB, comme on l’a déjà vu au moment de la crise du Covid. Soit, mais il ne s’agit pas d’une démarche collective.

Si l’on passe au cadre communautaire, il existe depuis trois ans un Fonds européen de Défense qui ne compte que 7 milliards d’euros. Très insuffisant pour lancer des programmes d’armement ambitieux. Plusieurs pays soutiennent le projet d’un emprunt européen pour abonder cette caisse. Le député européen Raphaël Glucksmann a proposé en 2024 de lancer un fond de défense de 100 milliards d’euros financé par un emprunt européen. L’idée d’un financement commun pour des projets 100% européens progresse cependant. La présidente Ursula von der Leyen a cité en exemple un système de défense anti-aérien qui a tant manqué au début de la guerre en Ukraine.

Certains pays estiment que les capacités de l’industrie militaire européenne ne permettent pas à ce stade de se passer d’autres sources d’approvisionnements, que les achats de matériel américain devront continuer pour longtemps. Voilà peut-être une occasion de faire quelques « deals » avec Donald Trump pour réduire les tensions à venir.

Mais ce n’est pas l’essentiel de la méthode prônée par la France. « C’est en décidant d’acheter, de préférer les achats européens que l’Europe sera plus indépendante », a martelé Emmanuel Macron à Bruxelles. La démarche de Paris est fondée sur l’idée que l’autonomie industrielle est la base de toute indépendance stratégique. C’est ce qu’on apprend dans les écoles de guerre.

Gagner la bataille de la sécurité en Europe est une urgence qui n’attendra pas la mise en place d’un meccano industriel parfait.
Si l’Europe veut garder une place dans le chaos qui s’annonce, elle devra développer son savoir-faire dans l’industrie militaire (notamment dans le domaine du cyber), et acheter encore sur étagère ce qu’elle ne produit pas.

Pierre Benoit