Poutine : après l’Ukraine, l’Afrique
Trop occupé en Ukraine, Poutine ? Pas du tout, avec sa ruse habituelle il poursuit sa conquête africaine.
Dès la mort de Prigogine, le chef des milices Wagner, mais aussi plus largement du groupe Concord à la tête d’un petit empire africain, Poutine reprend les rênes. Concord passe sous contrôle du Ministère de la Défense russe et de ses services de renseignements (GRU) et réapparait sous l’appellation Africa Corps. Les hommes de Wagner sont repris ou renvoyés et remplacés – l’essentiel étant leur loyauté à l’égard de Poutine. L’activité parfois un peu débridée de Prigogine se mue en une planification militaire méthodique, destinée à préparer la présence russe en Afrique sous le contrôle direct du Kremlin.
Le point d’entrée le plus simple semble être la Libye, grâce au soutien que les Russes apportent au maréchal Haftar, l’un des maîtres d’un pays en proie au chaos. Contact est donc pris avec l’entourage du maréchal pour l’installation d’une base militaire et logistique en Libye. Le choix s’arrête sur une ancienne base aérienne du temps de Kadhafi, dans le sud du pays : Maaten-el-Sarra. Elle est située à proximité relative du Sahel, du Soudan, et rend possibles les vols vers le Tchad et la Centrafrique, bastion de longue date de Wagner et Concord.
Dès le début de 2024, des travaux importants sont observés sur la base, notamment la réfection des pistes permettant d’accueillir des avions gros porteurs. Cette base est presque opérationnelle. La chute de Bachar al-Assad le 8 décembre 2024 accélère le processus : quelques semaines plus tard, le redéploiement des troupes russes de Syrie se fait en partie vers la Libye via Benghazi, et là encore avec la complicité de Haftar. Le point d’entrée africain est donc désormais trouvé, ce sera Maaten-el-Sarra.
À partir de là, en tenant compte de la présence des supplétifs russes dans les trois pays du Sahel et en Centrafrique, un réseau militaire et logistique s’ébauche et la Russie s’apprête à le consolider. Dans les plans à moyen et long terme de Poutine, qui prévoient au moins une vingtaine de bases, il n’est pas interdit de penser qu’au cas où la guerre en Ukraine se terminerait, une partie de l’armée russe se dirigerait peu à peu vers ce nouveau front.
Si au Mali, au Burkina, au Niger ou en Centrafrique, les troupes russes sont déjà bien installées au point de faciliter la construction d’un tel réseau avec l’assentiment des gouvernements, la situation est plus complexe au Soudan où la guerre continue de faire rage entre les deux généraux Bourhane et Hemetti. L’issue du combat étant encore incertaine, la diplomatie russe y est donc plus prudente. L’essentiel pour la Russie est en effet d’obtenir enfin une base navale près de Port-Soudan, promise de longue date, bien avant ce dernier conflit.
Reste le Tchad qui a déjà renvoyé chez eux, Français, autres Européens et Américains. Le rapprochement de N’Djamena avec Moscou est déjà en grande partie effectué, la diplomatie russe n’ayant pas ménagé ses efforts, surtout depuis le départ des Français. Le président tchadien Mohamed Idriss Itno s’est rendu à Moscou début 2024 et semble amorcer un virage stratégique qui pourrait rendre possible l’installation de troupes russes – y compris dans l’ancienne base historique française de Faya-Largeau. Face à l’énorme afflux de réfugiés du Soudan vers le Tchad (plus d’un million et demi de personnes), le chef de l’État tchadien, considère que les Occidentaux sont sourds à ses demandes d’aide : il s’est donc tourné vers Moscou comme il pourrait bientôt le faire vers la Chine. Pour Poutine, voilà une belle opportunité de s’en faire un allié.