Présidentielle : le cauchemar des progressistes
Au train où vont les choses, il existe un fort risque, en 2027, de devoir choisir Retailleau pour éviter Le Pen/Bardella. Pour ne pas se retrouver dans cette situation, il faut travailler à une solution alternative.

Regardons les choses en face : les vents ne soufflent pas dans la bonne direction quand on souhaite prendre un cap social-démocrate. Jean-Luc Mélenchon conserve son ascendant sur la gauche radicale et Olivier Faure s’émancipe faussement de LFI. L’un et l’autre comptent se présenter à la présidentielle, laissant un espace fort restreint à la candidature de Raphaël Glucksmann, lequel a ainsi peu de chances de se qualifier pour le second tour, alors que le total des voix de gauche peine aujourd’hui à atteindre 30% des intentions de vote.
Sombre perspective qui s’accompagne d’une seconde possibilité tout aussi peu réjouissante : l’obligation de voter « utile » dès le premier tour pour un candidat de droite, parce qu’il serait le seul en mesure d’écarter le danger RN au second. Mais que faire d’autre si devait se profiler pour le second tour un duel Mélenchon-Le Pen/Bardella ? Le résultat serait connu d’avance, l’extrême-droite gagnerait. Pour ne pas avoir à choisir entre deux maux, il faudrait en privilégier un troisième. Triste constat.
Hier, à Bagneux, Lucie Castets réunissait plusieurs partis de gauche, dont l’objectif était de favoriser une candidature unique. Le premier secrétaire du PS, Olivier Faure adoubait l’initiative, tandis que Raphaël Glucksmann la snobait. Et pour cause. L’objectif de ce nouveau conclave était de mettre en piste un champion qui ne soit pas hostile aux Insoumis et qui ressemble fort, sans jeu de mots, à Faure, lequel ménage les idées et la radicalité du lider maximo avec lequel il est censé avoir rompu.
Dernière preuve en date de cette main tendue à l’ennemi ? L’intégration, dans la nouvelle équipe d’Olivier Faure, d’un nouveau secrétariat national du PS de lutte contre « les discriminations, le racisme, l’antisémitisme…et l’islamophobie ». C’est ce dernier mot qui fait tiquer, puisqu’il est directement inspiré de LFI. Il a fait réagir notamment la juriste et sénatrice PS Marie-Pierre de la Gontrie : « Olivier, comment as-tu pu nommer un secrétaire national contre l’islamophobie ? » Inutile de dire que cette innovation a également fait bondir Jérôme Guedj…
Alors, que faire ? Le champ d’expansion pour les sociaux-démocrates étant visiblement bloqué à gauche, restent deux possibilités. Soit on se contente de le déplorer, on se résigne à la future victoire d’une droite dure, et on attend 2032 que Jean-Luc Mélenchon ait enfin tiré sa révérence pour que la France, revenue de son envie de droite musclée, s’oriente à nouveau vers les rivages d’une gauche crédible. Soit on limite la casse dès 2027 et on tente de préparer les esprits à un programme qui pourrait séduire au-delà d’une poignée de socialistes. Et attirer tous les progressistes de l’arc républicain.
Et tant pis si le champ est encombré de candidats déçus de Macron et si les accusations en social-traitrise fuseront chez les dévots de la vraie croix. La pêche aux électeurs de la gauche de la gauche étant vaine, il faut les trouver de l’autre côté. Pour cela, il faut à la fois répondre aux défis d’aujourd’hui…et aux attentes pressantes d’une majorité de citoyens. Pour l’instant, ceux-ci demandent un espoir et un retour à l’ordre. Ils n’en voient nulle part sauf chez les Insoumis et dans la droite musclée.
Côté ordre, c’est le grand impensé, y compris chez les sociaux-démocrates (alors que Ségolène Royal, en son temps, avec parlé d’un « ordre juste »). En dépit d’un incontestable tournant réaliste, il n’y a ni chez Raphaël Glucksmann, ni dans les textes ou déclarations des réformistes du PS, ni même chez Bernard Cazeneuve, un programme cohérent de lutte contre l’insécurité. Chacun se contente de constater que l’insécurité touche d’abord les plus modestes et qu’il faut s’en occuper. Certes. Comment ? Quant à l’immigration, malgré de nombreuses propositions, on n’ose pas aborder la question du contrôle des flux et on reste évasif sur l’intégration des immigrés.
Pour donner de l’espoir, il faut aussi améliorer les fins de mois. Mais il ne suffit pas de décréter qu’on augmentera les salaires. Encore faut-il les financer. Mieux rémunérer le travail serait plus aisé si cet objectif était inséré dans un projet destiné à faire croître la production plutôt que de la handicaper par un excès d’impôts supplémentaires. Le fameux rapport Gallois, qui avait inspiré François Hollande, avait donné des résultats. Avant de redistribuer davantage, il faut faire croître le gâteau. On attend des idées convaincantes.
Il faut surtout être crédible. La générosité a des limites par temps de dette et déficits. La dernière mise en garde hier du socialiste Pierre Moscovici, président de la Cour des Comptes, sur l’urgence d’une remise en ordre dans les dépenses publiques doit être entendue. Tout programme qui n’en tiendrait pas compte laisserait sceptique. Il doit aussi contenir des idées sur les grands dossiers du moment, réindustrialisation, transition écologique, intelligence artificielle, rénovation des services publics… En n’ayant pas peur de dire la vérité sur ce qu’il est possible de faire et à quel prix.
Ce programme idéal n’a encore ni réalité ni incarnation. Raphaël Glucksmann a fait rédiger un programme. Mais, s’il veut percer le plafond de verre, il devra s’adresser à des Français qui ont quitté la gauche. Se rendre centro-compatible. Pascal Canfin lance une plate-forme pour rapprocher les points de vue. Sans rééditer l’aventure d’ « En Marche », un chemin existe où pourraient se rassembler les idées, puis les citoyens, qui ne veulent ni de Mélenchon, ni de la réaction. Un scénario qui mettrait en piste, pour la présidentielle, un projet, puis un ou une candidate capable d’être au second tour.
Doit-il forcément venir des rangs de la gauche ? Si, après des mois de décantation, c’était une personnalité progressiste non encartée à gauche qui était la mieux placée pour attirer un nombre suffisant d’électeurs pour être présent au second tour, faudrait-il se détourner et choisir le scénario cauchemar ? On n’en est pas là. Mais si on préfère que ce nouveau Monsieur X soit au centre gauche, il faut commencer par proposer une offre humaine et programmatique qui corresponde à la demande actuelle. En évitant de regarder dans le rétroviseur…