Primaire à gauche : la fausse bonne idée

par Laurent Joffrin |  publié le 16/04/2025

Réclamé par plusieurs stratèges de la gauche, un nouveau scrutin préalable à l’élection présidentielle mènerait inévitablement à l’échec.

Laurent Joffrin

« L’option d’une primaire s’impose à gauche », titre le Figaro. Étrange affirmation : rien n’est en fait décidé. Certes l’hypothèse est effectivement caressée par certains leaders de la gauche. Mais les autres la récusent et, surtout, quelques remarques de bon sens montrent qu’une primaire pour 2027 serait un passeport pour la défaite.

Les écologistes, l’actuelle direction socialiste d’Olivier Faure et le micro parti de Clémentine Autain, François Ruffin et quelques autres, militent pour cette nouvelle mouture de l’union de la gauche. Une union rétrécie au lavage, en fait : Jean-Luc Mélenchon, Raphaël Glucksmann et l’opposition interne du PS y sont hostiles. Ce qui pose un léger problème, puisque Gluksmann et Mélenchon sont aujourd’hui les seuls à dépasser les 10% dans les intentions de vote.

Aussi bien, les expériences passées ne sont guère instructives. Certes, Ségolène Royal en 2007, qui fut battue avec un score honorable, et François Hollande en 2012, qui fut élu, étaient issus d’une primaire. Mais c’était une primaire socialiste (avec les Radicaux de gauche dans le second cas), à une époque où le PS était une force largement dominante. Et surtout, les deux autres exemples de scrutin préalable à la présidentielle se sont soldés par des fiascos retentissants : Benoit Hamon, vainqueur de Manuel Valls en 2017, n’a pas dépassé les 6% des voix et Christiane Taubira, désignée en 2022 à la suite d’un processus byzantin dénommé « primaire populaire », a dû abandonner rapidement faute d’avoir recueilli les signatures nécessaires à une candidature.

Cette année, les promoteurs de la primaire à gauche se fondent sur un raisonnement simple : avec 30% des voix, une gauche divisée n’a aucune chance de figurer au second tour, puisque le RN est à plus de 35% et qu’Édouard Philippe dépasse les 20%. En revanche une gauche unie pourrait franchir l’obstacle. Encore faut-il que Glucksmann et Mélenchon s’y soumettent, ce qui est fort peu probable, sachant que leur candidature réduirait sévèrement l’espace politique de cette « gauche unie » dans la division.

Et surtout, par son périmètre et par sa probable orientation idéologique, plutôt radicale, la primaire envisagée n’est qu’un avatar de feu le Nouveau Front Populaire, amputé de sa composante insoumise. Autrement dit, sa tenue consisterait en fait à poursuivre la stratégie suivie depuis 2017, qui n’a pas fait gagner une voix à la gauche en huit ans. En effet, à la suite d’un étrange raisonnement, les stratèges des partis ont décidé que pour reconquérir un électorat enfui vers le centre, il fallait présenter un programme plus à gauche. C’est cette absurdité dans les termes qui explique la stagnation électorale de l’union et c’est elle qu’on se propose de proroger en organisant une primaire croupion avec des forces auto-estampillées « de la vraie gauche ». Alors que tout l’enjeu consiste à faire revenir au bercail ces anciens électeurs de gauche qui se retrouvent en macronie ou, pire, dans l’orbite du RN.

Au vrai, seul un Parti socialiste rénové conserverait une chance d’y parvenir. C’est autour de cette force reconstituée et modernisée que l’union peut se réaliser, non pas celle des partis, mais celle des électeurs. Car à l’inverse de ce qu’on pense généralement, c’est la force qui fait l’union et non pas le contraire. En ignorant une nouvelle fois cet adage d’airain, les militants socialistes se condamneraient à une candidature de témoignage pour la gauche, qui ouvrirait la voie à la troisième édition d’un duel entre macronistes et lepénistes au second tour.

Laurent Joffrin