Proche-Orient : la France sans voix

par Pierre Benoit |  publié le 28/01/2025

La mort de 22 Libanais qui tentaient de rentrer chez eux dimanche sous le feu israélien fragilise la trêve. Elle souligne aussi le monopole diplomatique de l’administration Trump sur la région, au détriment de la France.

Des membres du Hezbollah assistent aux funérailles de personnes des villages du sud Liban qui ont été tuées par les tirs israéliens un jour plus tôt alors qu'elles tentaient de retourner dans leurs villes, à Ghobeiri, dans la banlieue sud de Beyrouth, le 27 janvier 2025. (Photo IBRAHIM AMRO / AFP)

L’accord conclu sous l’égide des Etats-Unis et de la France avait fixé au 26 janvier la fin du retrait des forces israéliennes. En fait, seule la région côtière du pays a vraiment été évacuée. Les blindés israéliens occupent toujours l’intérieur du sud du Liban où se trouve concentrée une grande densité de villages chiites. Une soixantaine de localités sont encore sous le contrôle des soldats israéliens alors qu’après le départ de la milice du Hezbollah, il ne devrait y rester que l’armée libanaise et les casques bleus de l’ONU.

Des centaines d’habitants ont voulu regagner leurs villages ce dimanche 26 janvier, comme le prévoyait l’accord initial. Certains agitaient les drapeaux jaunes du Hezbollah, ce retour était organisé. Après avoir franchi les barrages de l’armée libanaise, ils se sont retrouvés nez à nez avec les soldats israéliens. Il y a eu des tirs de sommation, des rafales meurtrières : 22 morts, selon le Ministère libanais de la santé.

Au cours de cette journée sous haute tension, Emmanuel Macron a eu un contact avec le nouveau Président libanais, Joseph Aoun, qu’il avait salué à Beyrouth juste après sa nomination. Le Président français a aussi appelé le Premier ministre Netanyahou pour demander le retrait « de ses forces encore présentes au Liban », en souhaitant au passage que rien « ne compromette les efforts des nouvelles autorités libanaises pour restaurer l’autorité de l’Etat ».

Dès vendredi, le cabinet du Premier ministre Netanyahou faisait savoir que le retrait se poursuivrait « en accord avec les États- Unis » au-delà de la date limite. L’affaire a été officialisée dimanche en fin de journée par un communiqué de la Maison Blanche annonçant la prolongation de « l’accord entre le Liban et Israël, supervisé par les États-Unis jusqu’au 18 février ».

Dans son communiqué, la Maison Blanche n’évoque pas la France, qui avait pourtant parrainé l’accord de cessez-le-feu. Paris avait été associé aux négociations indirectes entre Israël et le Hezbollah et à la supervision future de la trêve. Les responsables libanais avaient même insisté pour que ce double parrainage soit rendu public. L’administration Biden n’avait fait aucune difficulté.

Cette fois, l’absence de la France n’est pas un oubli, mais une humiliation. Le message est même très clair, l’administration républicaine entend gérer seule les affaires du Moyen-Orient. « Donald Trump a un style bien à lui dans la gestion des dossiers. Il n’aime pas partager. Il tourne le dos à toute perspective multilatérale. Pour le Moyen-Orient, il ne traite qu’avec Netanyahou », explique le politologue Hasni Abidi qui dirige le Centre d’étude sur le monde arabe à Genève.

Malgré les apparences, la France a encore quelques cartes entre les mains. L’ancienne puissance mandataire au Liban reste d’une certaine façon incontournable sur ce dossier car elle a su entretenir une connaissance très fine du personnel politique. « La France parle avec tout le monde, reprend Hasni Abidi, elle a le contact avec toutes les communautés, druzes et chrétiens, sunnites et chiites. Bien sûr, cet avantage n’a pas joué ici compte tenu du style très personnel de Trump. Mais Paris a aussi renforcé ses liens avec de nouveaux acteurs régionaux comme l’Arabie saoudite qui s’affirment depuis le changement de régime en Syrie ».

On le sait, le nouveau Président américain perçoit les relations internationales comme un enchevêtrement baroque de rapports de force. Il a souvent évoqué son envie de « dealer » avec l’homme fort de l’Arabie saoudite, Mohammed Ben Salman. Mais là encore, la France garde un atout, son siège au Conseil de sécurité. « Le président Macron doit se rendre bientôt à Ryad, poursuit Hasni Abidi. L’Arabie saoudite lui a demandé de soutenir son projet de Conférence internationale pour une solution à deux États visant à résoudre le conflit palestinien ».

Cette conférence doit avoir lieu en juin prochain à New York. La France pourrait se distinguer à cette occasion en reconnaissant la Palestine.

Pierre Benoit