Proche-Orient : la leçon de Carter

par Malik Henni |  publié le 03/01/2025

Le président disparu avait défini avec réalisme les contours d’un accord de paix entre Arabes et Israéliens. Son héritage a été négligé, au détriment de toute la région.

Une personne se tient devant un buste de l'ancien président Jimmy carter où des gens ont déposé des fleurs en sa mémoire au Carter Presidential Center à Atlanta, Géorgie, le 29 décembre 2024. (Photo d'Alex Wroblewski / AFP)

Dans les heures qui ont suivi l’annonce de la mort de l’ex-président centenaire, sa mémoire et ses actions ont été saluées aussi bien par les militants propalestiniens que par le Premier ministre d’extrême droite israélienne, Benjamin Netanyahou. Si les premiers retiennent les déclarations de Jimmy Carter dénonçant l’existence d’un apartheid en Cisjordanie, le second loue son rôle dans l’instauration des accords de Camp David (1979), qu’il a qualifiés d’« espoir pour les générations à venir ». Ce grand écart est rendu possible par la personnalité même de cet ancien président devenu philanthrope.

Pour le croyant Jimmy Carter, de confession baptiste, l’idée que les Juifs sont le peuple élu n’a jamais rencontré d’écho défavorable. Il en avait même fait mention à Golda Meir en 1973, alors qu’il était gouverneur de Géorgie. L’histoire retiendra surtout qu’il a été le premier président américain depuis 1948 à déclarer la nécessité de la création d’un État palestinien. Favorable à une « paix juste », il a instauré pour la première fois un dialogue multilatéral associant la droite israélienne de Menahem Begin et le raïs Anouar el-Sadate. Israël renonce alors au Sinaï en échange d’une reconnaissance diplomatique par l’Égypte. Les accords de Camp David, signés en 1979, ont été rendus possibles grâce à la pression exercée par Washington sur Tel-Aviv pour parvenir à une entente avec l’État arabe le plus engagé, depuis l’époque de Nasser, sur la question palestinienne.

Après cet épisode, qui a démontré aux Arabes qu’il était possible de négocier avec Israël, des nuages se sont amoncelés sans qu’un orage n’éclate : ni l’assassinat de Sadate par des islamistes en 1981, ni les alternances politiques en Israël n’ont remis en cause les relations diplomatiques entre les deux États. Cela a-t-il entraîné des conséquences positives pour les Palestiniens, toujours privés d’un État près de 50 ans plus tard ? En tout cas, l’espoir suscité par cet accord a essaimé, même si Israël a principalement fait la paix avec des États qui ne lui avaient jamais fait la guerre (Émirats arabes unis, Maroc, Arabie saoudite…).

Après son départ de la Maison-Blanche, Jimmy Carter a continué de s’investir pour la paix ainsi que pour le progrès sanitaire et social. Cependant, la situation en Palestine et en Israël, marquée par la colonisation juive en Cisjordanie, a profondément révolté l’ancien président. En 2007, il publie un ouvrage controversé, Palestine : la paix, pas l’apartheid, qui a été mal accueilli par une partie de la communauté juive américaine. Certains de ses membres l’ont même accusé d’antisémitisme. Loin d’en démordre, Carter a précisé que le terme « apartheid » ne visait pas l’État d’Israël, où les droits sont égaux, mais bien la Cisjordanie, où plus de 200 routes interdites aux Palestiniens relient des colonies israéliennes illégales.

Déjà à cette époque, les universités américaines étaient le théâtre de batailles idéologiques. Le vieux démocrate a particulièrement regretté que ses offres de parler gratuitement de son livre sur certains campus accueillant une forte population juive aient été rejetées. Il a également déploré que les voix palestiniennes soient peu audibles dans le débat politique américain.

Jimmy Carter proposait trois éléments pour ouvrir la voie à une paix durable : garantir la sécurité d’Israël, amener les Israéliens à définir enfin leurs frontières et sanctuariser celles de tous les États de la région. Alors que les bombardements israéliens visent aujourd’hui le Liban et la Syrie en réponse aux attaques terroristes du 7 Octobre 2023, qui peut dire que ces principes ne sont plus pertinents ? On peut ne pas avoir été d’accord avec toutes ses positions mais il est impossible de nier qu’il a consacré toute sa vie à chercher une issue de paix au conflit qui déchire encore aujourd’hui le Proche Orient.

Retenons ses paroles prononcées lors de la remise de son prix Nobel de la paix en 2002 : « Nous n’apprendrons pas à vivre en paix ensemble en tuant les enfants des autres. »

Malik Henni