Proportionnelle : un coup de billard à plusieurs bandes

par Sylvie Pierre-Brossolette |  publié le 25/04/2025

François Bayrou commence ses consultations la semaine prochaine en vue d’introduire le mode de scrutin proportionnel pour les prochaines législatives. Une manière d’amadouer le RN, de libérer le PS et de… gagner du temps.

Une vue générale de l'hémicycle à l'Assemblée nationale, le 11 mars 2025. (Photo Telmo Pinto / NurPhoto via AFP)

C’est un ministre qui l’assure : « le projet de proportionnelle, c’est du sérieux. Cela se fera. On achète la paix avec le Rassemblement national ». Le chef du gouvernement a annoncé qu’il commencerait ses consultations dans la semaine du 28 avril, à la rentrée du Parlement, lequel était en vacances… scolaires. Une majorité d’élus y est favorable sur le principe : la vieille revendication centriste est peut-être en passe d’aboutir,

Dans l’immédiat, le pouvoir exécutif y voit un double avantage : le parti lepéniste, qui réclame cette réforme, ne votera pas la censure le temps – long – de sa discussion ; pas plus que les socialistes, qui apprécieront de décorréler leur destin électoral de celui des Insoumis. Reste à mettre au point la formule de la proportionnelle. Il y en a cinquante nuances, selon les multiples paramètres que l’on peut faire jouer. C’est là que les ennuis commencent.

Il faut d’abord déterminer si tous les députés seront élus avec la RP ou seulement une partie d’entre eux. La droite, qui est hostile à l’introduction de cette mesure très peu gaulliste, cherchera à limiter son application. Mais si élire 10 à 15% des députés avec ce mode de scrutin permet de représenter les minorités, cela ne corrige pas les défauts du scrutin majoritaire, qui force aux alliances parfois contraires.

Si l’on choisit d’élire la totalité des députés à la RP, plusieurs modalités d’application s’offrent au gouvernement. Il faut d’abord définir la taille des circonscriptions où s’affronteront les listes : le département (comme en 1986, seule fois sous la Vème République où l’expérience fut vécue), la région, ou un autre module ? Plus la taille est petite, plus elle force les petits partis à se rattacher aux gros s’ils veulent des élus. Car il y a un effet de seuil : si un département compte peu de députés, les premiers servis seront les grands partis, les plus petits risquant d’être éliminés de la distribution.

Cet effet de seuil peut être renforcé par une règle fixe : quel score minimum doit atteindre une liste pour avoir un élu ? 2%, 5%, plus ? D’âpres discussions seront menées sur ce point. Comme sur un autre, qui intéresse particulièrement le RN : la prime majoritaire. L’idée est de combiner les avantages de la RP (chaque force est justement représentée sans devoir passer d’alliance) et ceux du majoritaire (dégager un gagnant pour gouverner). Ce système est aujourd’hui appliqué aux municipales. Le scrutin se déroule sur liste, mais celle arrivée en tête rafle une prime de 50% d’élus, lui garantissant une majorité confortable.

C’est la formule souhaitée par Marine Le Pen, qui veut à la fois éviter qu’un nouveau Front républicain se coalise contre le RN et détenir les clefs du pouvoir si son parti arrive premier de la compétition. Il n’est pas certain que ses adversaires adoptent un tel système qui, pour l’instant, vues les forces en présence, assureraient la victoire de l’extrême-droite. Il devra donc y avoir un compromis qui donne davantage sa chance à chacun.

La négociation sera dure. Pas seulement parce que le diable se niche dans les détails des modalités d’un scrutin qui peut se retourner parfois contre ses auteurs (l’actuel scrutin majoritaire a produit une Chambre tripartite, sans majorité), mais aussi parce que personne n’a les mêmes intérêts. Le seul point d’entente repose sur le refus du statu quo d’une Chambre ingouvernable. Chacun s’accorde en effet pour estimer que la paysage politique est durablement fractionné et qu’il faut remédier aux conséquences délétères de cette fracturation en trois camps ou plus.

Même la tenue de la présidentielle en 2027, et de législatives dans la foulée, ne garantissent plus que le ou la successeur d’Emmanuel Macron, quel que soit son parti, dispose de nouveau des moyens parlementaires de gouverner. Il faut donc changer les règles du jeu. Un casse-tête quand chacun veut y trouver son avantage. Et que, aujourd’hui non plus, on y revient, il n’y a pas de majorité…

Sylvie Pierre-Brossolette

Sylvie Pierre-Brossolette

Chroniqueuse