Quand LVMH tombe dans la post-vérité
Bernard Arnault fait de l’Europe le bouc émissaire de la guerre des taxes avec les Etats-Unis. Pour préparer le terrain à des transferts d’activité.
Dans une démocratie à la française, on a le droit d’émettre ses opinions. On a aussi le droit de choisir ses amis. Mais on n’a pas le droit d’être malhonnête, ni de réécrire l’histoire à l’envers juste pour plaire à ses amis.
Lorsque Bernard Arnault, président de LVMH, accuse la bureaucratie européenne d’être un obstacle à la création d’une zone de libre-échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis, il impute à la Commission européenne la responsabilité de la guerre des taxes dont son ami américain est à l’origine. Qui érige unilatéralement des barrières douanières? Qui veut tordre le bras d’anciens alliés pour imposer ses règles? Et qui, en l’occurrence, l’obligerait à envisager des délocalisations? « Il ne faudra pas dire que c’est de la faute des entreprises. Ce sera la faute de Bruxelles si cela devait arriver », a-t-il déclaré à l’Assemblée générale du groupe, selon le journal Le Monde. La fabrication de bouc émissaire, une méthode qui fait flores à la Maison-Blanche.
La bureaucratie européenne n’est certes pas exempte de reproches, mais on ne peut ignorer que ce sont les responsables de la Maison-Blanche qui, après avoir torpillé les règles du libre-échange, refusent de discuter avec le Commissaire européen au commerce. Toujours un peu facile, et en l’occurrence mensonger, de mettre Bruxelles en accusation ! L’ami américain du milliardaire français fait fi des procédures en vigueur dans l’Union européenne pour imposer aux Européens des négociations bilatérales dans le but de les diviser. Drôle de façon de réécrire cet épisode de guerre économique, en inversant la charge de la preuve.
On comprend bien la démarche, qui consiste à justifier par anticipation le futur transfert outre-Atlantique d’une partie de ses activités françaises, pour passer sous les fourches caudines de cet ami américain. Car c’est bien ce qui semble se dessiner dans la stratégie de LVMH, en prenant ainsi la Commission européenne comme bouc émissaire d’une situation qu’elle n’a pas créée.
Le patron du géant mondial du luxe avait déjà tiré à boulets rouges contre la France qui, pour établir le budget 2025, se serait selon lui rendue coupable d’inciter aux délocalisations. Un début de menace… C’était en janvier dernier, au retour de la cérémonie d’investiture du nouveau président où il avait été convié. Il en revenait tout ébloui par la politique pro-business qui allait se mettre en place à Washington. Mais ce sont plutôt les Etats-Unis qui l’empêchent aujourd’hui de développer son business tranquillement, pas la bureaucratie bruxelloise. Rendons à César… sans réécrire l’histoire.
LVMH réalise le quart de son chiffre d’affaires outre-Atlantique, où il est déjà bien implanté. Le groupe y emploie 43.000 personnes, soit autant qu’en France, sur quelque 213.000 salariés dans le monde. La délocalisation est déjà réelle. Et il a multiplié les actes d’allégeance à la politique de Donald Trump dès le premier mandat du président réélu, afin d’être épargné par les mesures protectionnistes qui avaient déjà marqué ce premier mandat. Le lobbying se poursuit. Le groupe fait montre d’un réel tropisme pour le marché américain… comme pour les marchés chinois ou japonais lorsque les vents sont porteurs. Mais il lui sera difficile d’exporter dans l’empire du Milieu des productions provenant du Texas ou de la Napa Valley. L’Europe, quelque part, a aussi du bon ! Et l’image de Paris n’a pas de prix, même aux États-Unis. Autant, aussi, le reconnaître!



