Questions aux pro-israéliens

par Laurent Joffrin |  publié le 10/10/2024

Le débat sur la guerre de Gaza et du Liban est obscurci par les outrances de certains propalestiniens. Pourtant de vraies questions se posent, auxquelles il faudra bien répondre.

Laurent Joffrin

Deux casques bleus ont été blessés hier par les tirs d’un char israélien alors que la force d’interposition (la Finul) reste cantonnée dans ses casernes et qu’elle a cessé toute patrouille dans la zone qu’elle doit en principe surveiller. L’incident a déclenché un tollé diplomatique et, dans la soirée, le ministre italien de la Défense Guido Crosetto a indiqué que ces tirs « pourraient constituer des crimes de guerre ».

De son côté, la France, dont les soldats composent en partie la Finul, « attend des explications » et rappelle que « la protection des casques bleus est une obligation qui s’impose à toutes les parties à un conflit ». En regard de la violence des combats, l’incident est tout à fait mineur. Mais cette attaque contre la force internationale met une nouvelle fois en lumière les questions légitimes qu’on peut se poser à propos des actions de l’armée israélienne.

Ce débat est obscurci par les outrances qu’on entend du côté de certaines forces propalestiniennes. À les écouter, un génocide est évidemment en cours, alors même que l’ONU n’a pas encore statué sur la question ; les réactions israéliennes sont par nature illégitimes, ajoute-t-on, alors que l’attaque barbare et terroriste du 7 octobre a entraîné la mort de quelques 1200 Israéliens tués sur le sol de leur pays et qu’aucun gouvernement, en Israël ou dans le monde, ne pourrait tolérer une telle atteinte à sa sécurité et à sa population ; les représailles contre le Hezbollah sont également condamnées, alors que l’organisation islamiste ne cesse de tirer des missiles par-dessus la frontière, obligeant quelque 60 000 personnes à se réfugier plus au sud, ce qu’un gouvernement digne de ce nom ne peut pas plus accepter sans réagir. Mais une fois rappelées ces évidences, les questions demeurent.

Les pertes civiles à Gaza – plus de 40 000 morts – doivent-elles être rangées dans la cruelle catégorie des « dommages collatéraux » ? Ou bien peuvent-elles être assimilées à des crimes de guerre, comme le pensent beaucoup de juristes, qui ne sont pas tous des ennemis d’Israël ?

La destruction des habitations des Gazaouis, qui a entraîné des déplacements massifs de population et créé une situation alimentaire et sanitaire catastrophique, ont-elles une justification militaire ou bien ressortissent-elles d’une punition collective infligée à la population civile ? Les Israéliens arguent de l’utilisation par le Hamas de « boucliers humains » destinés à protéger leurs combattants. Certes : cette tactique a été documentée maintes fois. Mais rend-elle légitime le massacre perpétré contre les Gazaouis ? La brutalité de l’opération, en tout cas, tend à effacer la distinction entre civils et combattants, ce qui constitue une régression terrible en regard des « lois de la guerre », en principe acceptées par tous les gouvernements, notamment les gouvernements démocratiques. Aussi bien, si l’on admet que les attaques ciblées contre les chefs et les combattants du Hezbollah peuvent se justifier, qu’en est-il de la campagne de bombardements au Liban qui frappe évidemment les civils autant que les forces du Hezbollah ?

La destruction totale de l’ennemi, au nord et au sud, constitue-t-elle un objectif réaliste ? On devine facilement que ce n’est pas le cas, surtout dans le cas du Hezbollah. Si bien que les appels au cessez-le-feu formulés par les puissances habituellement solidaires de la sécurité d’Israël gagnent chaque jour en pertinence et en légitimité, même si le gouvernement Netanyahou n’en a cure.

Enfin, et au-delà des buts immédiats et purement militaires affichés par le même gouvernement, quel est le projet global poursuivi dans cette guerre ? On craint de comprendre qu’une partie des dirigeants israéliens, issus de mouvements d’extrême-droite, y voient l’occasion de réaliser de nouvelles extensions territoriales qui nourrissent leur ambition de créer un « Grand Israël » (Eretz Israël) englobant la Cisjordanie, désignée à dessein par les termes bibliques de Judée et Samarie. Un projet qui, s’il était mis en oeuvre, fermerait toute chance de voir émerger un jour un État palestinien et ruinerait toute chance de paix à terme.

Là encore, le discours pro-israélien est éloquemment muet. Pourtant, ce sont de véritables questions, qui ne se rattachent pas à la rhétorique « décoloniale » utilisée par l’extrême-gauche, et qui sont posées souvent, entre autres, par des amis d’Israël. L’opinion pro-israélienne, en France notamment, va-t-elle y répondre ?

Laurent Joffrin