Qui aura la peau de Michel Barnier ?
Pour résister à la tenaille NFP-RN, le nouveau premier ministre ne peut compter sur personne, ni sur le président, ni sur sa majorité très relative, ni même sur ses ministres. Il va jouer l’opinion… mais pour combien de temps ?
Bienvenue dans l’enfer de Matignon ! L’accouchement douloureux d’un improbable gouvernement n’a pas mis fin au supplice de Michel Barnier. Pour reprendre la formule de Churchill, « Ce n’est pas le début de la fin, mais seulement la fin du début ». Le savoyard a beau expliquer qu’il ne vit pas en cohabitation, la réalité c’est qu’il en subit plusieurs, avec le chef de l’Etat, avec les partis et même avec ses ministres. Jamais sous la Vème République, le premier de cordée n’aura dû grimper avec autant de partenaires qui le tireront vers le bas.
Au mot cohabitation, Emmanuel Macron préfère l’expression « coexistence exigeante ». Michel Barnier souligne aussi que la situation ne correspond pas à ce vilain mot, puisque les partisans du Président le soutiennent. On prétend avoir de bonnes relations : Macron a demandé publiquement que l’hôte du gouvernement soit « aidé » pendant la pénible formation du gouvernement ; Barnier a déclaré qu’il ne saurait y avoir de problèmes avec le chef de l’Etat. Or, des deux côtés de la Seine, on ne se fait pas de cadeaux. L’Élysée cherche à conserver un maximum de pouvoir, Matignon à préserver le sien. Une guerre sourde derrière les sourires affichés. La nomination unilatérale de Stéphane Séjourné à Bruxelles a été le premier coup de canif à la vraie fausse entente cordiale. Si la bonne humeur était affichée lors du premier conseil des ministres, la photo de famille du gouvernement ne comporte pas l’image du septième président de la Vème République.
Michel Barnier devra également vivre sous les tirs croisés des mammouths de la coalition de ses supposés soutiens au Parlement. Il a déjà subi les oukazes de Gabriel Attal pendant le remaniement. Son lot de ministres en poche, voici le fringant néo-macroniste qui exige des assurances sur les orientations sociétales du gouvernement, faisant mine de suspecter de vilains desseins. Michel Barnier a dû déclarer qu’il serait un « rempart » contre toute attaque sur ce front, admettant du même coup qu’il pouvait y avoir danger. Désagréable.
Côté Laurent Wauquiez, ce n’est guère plus confortable. Le patron du groupe LR a beau être du même parti, il cultivera sa différence quand ce sera son intérêt. Comme Attal, il a en ligne de mire la présidentielle de 2027. Barnier a beau assurer qu’il ne sera pas personnellement dans la course, cela n’empêchera pas les postures du chef LR frustré de Beauvau. Dans les débats qui s’annoncent brûlants sur le budget, il n’aura pas besoin de pousser beaucoup ses troupes pour qu’elles haussent le ton. Les annonces sur la taxation des plus favorisées comme sur les négociations avec les partenaires sociaux est mal passée : « On n’attend pas d’un Premier ministre de droite qu’il augmente les impôts et recule sur les retraites ! » s’est étranglé un grand éditorialiste libéral, reflétant l’agacement de l’électorat conservateur.
On attend la réaction d’Edouard Philippe. Il a beau être pour l’instant le moins mauvais soutien de Barnier, ces dossiers constituent pour lui des « lignes rouges ». Difficile de se taire… Nul doute que François Bayrou ne se laissera pas oublier, pas plus que le désormais électron libre Gérald Moussa Darmanin, comme il aime se présenter. Personne ne va laisser tranquille le chef du gouvernement. Jusqu’à ses ministres qui n’ont pas aimé être qualifiés de « Mr Nobody » par les commentateurs, dont certains sont à l’Élysée. Ils s’affirment déjà, certains imprimant une marque très (trop ?) colorée à leurs déclarations. Michel Barnier est obligé de cohabiter avec le réactionnaire Bruno Retailleau, qui n’a pas la langue dans sa poche, comme avec la franchise, voire la maladresse, de quelques novices, aussi diplômés soient-ils, comme le patron de Bercy Antoine Armand.
Face à la meute qui veut faire le bonheur de la France malgré lui, restent à Michel Barnier deux atouts. Premier atout : l’opinion, qui le crédite de sa bonne volonté. Il va s’appuyer sur elle. Une grande majorité de citoyens sont d’accord, par exemple, pour faire payer les riches et bouger sur les retraites. Au diable, donc, les criailleries des mauvais coucheurs. Second atout : le désir d’exister de ses vrais-faux amis se heurte à la nécessité de ne pas tout faire capoter. Personne n’a (encore ?) intérêt à interrompre l’expérience institutionnelle. Ou à en porter la responsabilité. Si nous n’en sommes plus à la fin du commencement, nous en sommes peut-être, déjà, au tout début de la fin…