RDC-Rwanda : Paul Kagamé, un Bismarck africain ?

par Pierre Benoit |  publié le 07/02/2025

Le président rwandais a ramené la paix civile et redressé son pays victime de génocide pour le transformer en une puissance régionale impérieuse. Mais ses ambitions commencent à inquiéter l’Afrique.

Des soldats du M23 sont vus alors qu'une foule se rassemble au Stade de l'Unité à Goma le 6 février 2025. Le M23, soutenu par le Rwanda, a convoqué jeudi sa première réunion publique depuis la prise de la ville congolaise de Goma après des affrontements meurtriers. (Photo Jospin Mwisha / AFP)

Après la chute de Goma, le 28 janvier, les rebelles du M23, toujours appuyés par les forces rwandaises, ont poursuivi leur offensive vers le sud. Ils se sont approchés de la frontière du Burundi sans pour autant s’emparer de Bukavu, la capitale provinciale du Sud-Kivu.

Au-delà de la crise opposant la République Démocratique du Congo au Rwanda, la crainte d’un embrasement régional a précipité une mobilisation diplomatique sans précédent du sous-continent africain. Pas moins de 24 chefs d’états se réunissent samedi 8 février dans la capitale tanzanienne, soit la totalité des États de l’Afrique de l’Est (EAC) et ceux de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC).

Le Sommet de Dar el Salam est peut- être le dernier où l’on verra le président congolais Etienne Tshisekedi côte à côte avec le Rwandais Paul Kagamé. Le conflit qui oppose les rebelles tutsis du M23 au gouvernement de Kinshasa dure depuis 16 ans, il ravage l’Est congolais. A l’origine de cette crise, le soutien apporté par le Rwanda aux miliciens du M23, assez vite transformé en une organisation « proxy » du régime de Kigali. Pour la prise de Goma, on a même repéré des soldats rwandais appartenant aux forces spéciales.

Au lendemain de la chute du régime hutu génocidaire du président Habyarimana (1994), les débris de son armée réfugiés dans l’est du Congo ont lancé la milice des FDLR pour reprendre le pouvoir à Kigali. Au tournant des années 2000, aucun pays de la région ne critiquait Paul Kagamé, le nouvel homme fort du Rwanda, qui voulait se prémunir contre cette menace de revanche de la part d’anciens soldats qui avaient encadré une purification ethnique en tuant quelque 800.000 tutsis.

Un quart de siècle plus tard, le regard a changé. Paul Kagamé n’est plus le chef des rebelles tutsis du FPR balayant un pouvoir qui a déclenché le dernier génocide du XXème siècle. Il porte des costumes de type occidental et dans les conférences internationales, on reconnaît facilement sa silhouette longiligne, ses yeux intenses, ses phrases précises en anglais comme en français.

Le président Kagamé est parvenu à redresser un pays qui sortait de l’enfer. Il veut refonder une nation sur la mémoire du génocide, après avoir cherché à cicatriser les plaies en instaurant un dialogue inédit entre bourreaux et victimes : cette justice de réconciliation s’est traduite par plus d’un million de jugements à travers le pays. Une saga judiciaire et humaine qui apparait dans les romans de l’écrivain et rappeur franco-rwandais Gaël Faye.

Dans les années 2000, le Rwanda a connu un boom économique spectaculaire, autour de 8% par an depuis 2022. L’enrichissement et l’apparition d’une classe moyenne ont permis au régime de jouer sur l’image d’une « start-up nation » et d’attirer la bienveillance des États-Unis et de la France. En interdisant les sacs en polyéthylène depuis près de vingt ans, le Rwanda est aussi devenu le pays la plus propre du continent.

Revers de la médaille, en trente ans et quatre mandats consécutifs, Paul Kagamé a instauré une gouvernance autoritaire. Les partis politiques d’opposition sont marginaux, certains de leurs leaders en exil. Enfin, l’ingérence militaire ouverte du Rwanda dans l’est du Congo Kinshasa interroge.

L’Afrique du sud, poids lourd de la région, soutient le président congolais Etienne Tshisekedi. Prétoria n’est pas le seul pays à s’inquiéter de l’audace militaire du Rwanda, le M23 ayant annoncé, après la prise de Goma, qu’il était prêt à marcher sur Kinshasa.

Au fond, que cherche Kagamé ? Briser une ancienne guérilla hutue qui ne le menace plus vraiment ? Prendre sa part dans le pillage du Kivu, une région dont le sous-sol regorge de métaux rares qui alimentent des centaines de milices à la solde de trafiquants de toute sorte ? Préparer un « espace vital » pour son pays dont la croissance démographique reste soutenue ? Personne ne sait. Modernisateur, autoritaire, Paul Kagamé peut fait penser à un autre homme politique ayant laissé une trace dans l’histoire de l’Europe : le chancelier Bismarck, modernisateur et autoritaire lui aussi et fondateur de l’Allemagne moderne. Kagamé, un Bismarck africain ?

Pierre Benoit